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Critique de tamara29


du fait de ma « curiosité » à comprendre les comportements humains et interactions de toute sorte, j'étais intéressée par un des gros sujets d'actualité : l'affaire Weinstein. Pas par le côté people bien entendu mais par le sens et la portée de cette affaire.
Interviews de professionnels que j'entendais à la radio, messages d'artistes, de femmes et d'hommes du quotidien, discussion avec des amis ou collègues. Chacun y allait de son commentaire et son jugement, selon ses propres expériences, ses propres observations au quotidien, selon son sexe et sa position dans la société.
Moi qui, lors de discussions avec des amis hommes, ai tendance à être exagérément ‘'féministe'' pour défendre le droit des femmes, rappelant avec énergie les inégalités en matière de salaire, dans la sphère familiale (partage des tâches domestiques, éducation des enfants), j'espère néanmoins qu'ils considèrent que je cherche plutôt l'égalité, l'équité plutôt que de prôner, pour tout propos, que les lois et la société sont d'office, quel que soit le thème, faites par et pour le sexe dit fort.
Ainsi, je n'oubliais pas ces hommes que je connaissais très impliqués dans leur vie de famille. Je n'oubliais pas non plus que j'avais, à diverses occasions, discuté avec des amis, pères divorcés, de leur période de séparation. J'avais vu leur amertume, colère ou désespoir, compris leur combat presque vain pour pouvoir voir plus souvent leurs enfants. Je savais alors qu'en matière de gardes des enfants, le jugement se faisait majoritairement au profit des mères.
Ainsi, encore, lorsque j'entendais certaines femmes considérer que même un sifflement dans la rue pouvait être dans les nouvelles mesures d'interdictions, que certaines « blagues » avaient été jugées sexistes, que certains compliments faits par des collègues hommes pouvaient être considérés comme du « harcèlement sexuel », je trouvais que c'était un peu extrême à mon goût. Même en soi le « #balance ton porc » me mettait mal à l'aise. Ça finissait par être trop de délations en tout genre. Et, pourquoi pas aussi, pendant qu'on y était, revenir en arrière et refaire des lieux bien différenciés entre sexe ? L'école ? Les transports publics ? Les files d'attente dans les administrations ? Ça résoudrait tous les problèmes et limiteraient les côtoiements intempestifs ??
J'étais déroutée. Fallait-il des règles à ce point extrêmes pour recadrer au mieux les comportements de genre, pour espérer un minimum d'avancées sociales ? Les femmes « devaient » -elles se montrer vraiment choquées par toute forme de comportements (petite blague, compliments de collègues, verre offert dans un bar, etc.) quel que soit le type d'hommes face à elles ? Il m'arrive de lancer quelques blagues, quelques compliments à des amis ou collègues hommes. Et cela me déplairait fortement qu'ils me considèrent comme une « harceleuse ».
Est-ce que je me trompais dans ma façon d'appréhender les choses ?
J'avais besoin de revenir aux bases et je me suis alors plongée dans l'essai « L'arrangement des sexes » d'Erving Goffman.
Goffman, américain d'origine canadienne (1922-1982) est un des sociologues réputés pour ces études sur les interactions et l'identité sociale. Ces oeuvres les plus connues sont « Asile », « mise en scène de la vie quotidienne » ou encore « Stigmate ». C'est l'inventeur de l'infiniment petit en sociologie.
Cet essai, même s'il est très court, et même s'il date de 1977, est on ne peut plus d'actualité. Certes, il a été critiqué à son époque par certaines scientifiques féministes (du fait déjà que ce soit écrit par un homme et crée donc un biais ou une limite par la perspective d'un « dominant ») ou encore pour ses exemples datés ou limités (classe moyenne blanche aux Etats-Unis). La présentation par Claude Zaidman (qu'on peut lire avant le texte de Goffman) est très utile pour la compréhension à la fois du contexte et de l'essai.
Passé ce contexte, il n'en reste pas moins que « L'arrangement des sexes » m'a permis de repositionner ou confirmer certaines de mes réflexions.
L'analyse du chercheur peut être parfois assez complexe mais son humour, un brin ironique, ainsi que ses exemples du quotidien rendent la lecture à la fois claire et plaisante.
Goffman pose comme postulat que les différences biologiques entre les sexes ne sont pas si importantes que cela pour expliquer les différences de genre. Ce qui est intéressant à étudier et à observer justement, c'est comment l'organisation sociale construit et affirme cette différence entre les sexes pour justifier les différences sociales.
Il montre que, dès le plus jeune âge, au sein même du foyer comme lieu de socialisation, si le garçon et la fille, vivant dans une société moderne occidentale, peuvent attendre le même traitement et les mêmes droits, l'éducation sera cependant différenciée. La fille tiendra un rôle plus domestique, le garçon plus en rapport à la compétition. Par exemple, le garçon lors d'un repas aura la plus grosse part, la fille « plus fragile » aura le lit le plus confortable. Dès lors, « la formation d'une sorte de coalition est la réponse naturelle aux dures réalités du monde » afin d'obtenir ce dont on a besoin, tout en n'accomplissant pas un travail qui ne nous convienne pas.
Il explique que les métiers des femmes ont été surtout à la base concentrés vers ceux qui « leur conviennent » : éducation, textile mais aussi dans l'administration ou le secrétariat. Dans certains domaines, le recrutement/ sélection de jeunes femmes « attirantes » est plus important. L'exemple des secrétaires des chefs d'entreprise ont forcément rappelé ces hommes habitués au pouvoir et à être entourés de jeunes femmes attirantes et dévouées, au point d'en abuser.
Dans ses propos sur la galanterie et la cour, Goffman rappelle que les femmes sont le seul groupe à être à la fois défavorisé mais aussi tenu en « haute estime » et « idéalisé ». Goffman confirme que la société est misogyne et sexiste. Cependant, il ajoute que la femme n'est pas toujours pour autant un être passif et faible. Vis-à-vis de la femme, sexe considéré « plus fragile », l'homme va devoir se montrer galant, attentif, voire attentionné (pour obtenir ce dont il a besoin), cette dernière pourra ou non accepter ses attentions, répondre à ses avances (pour obtenir ce dont elle a besoin). Soit les arrangements entre sexes.
L'homme se doit de « protéger » la femme (il la porte pour ne pas qu'elle se salisse, doit éviter qu'elle se fasse mal, doit lui porter les choses trop lourdes, la défendre devant des importuns, parce que la femme est « plus fragile », vous vous rappelez ?). Mais le chercheur a raison d'ajouter (pour moi la femme qui l'oublie parfois) que ce n'est pas pour autant que l'homme aime se battre. La femme a d'ailleurs aussi d'autres privilèges comme être exemptée, par exemple, du service militaire.
En lisant certains paragraphes, je me suis rappelé un ami qui me disait que, si les femmes souhaitaient l'égalité, les hommes n'avaient plus, de ce fait, alors à se montrer galants, leur ouvrir la porte, etc. Mince, moi qui apprécie les petites attentions, qui ai tant lu de contes de fée lorsque j'étais petiote, cela me rappelle aussi le plaisir des jeux de séduction de part et d'autre et cela me rappelle surtout qu'on ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre :)
Pour ne pas « déprécier la monnaie » (dixit), casser l'image de la femme pure et fragile, pour le cas où elle voudrait autoriser trop souvent ses faveurs aux hommes (oh la coquine…), le modèle traditionnel a été de considérer le sexe comme « chose sale », avilissant (Donc, ma cocotte, tu ne fais pas de bêtises parce que c'est sale, ce n'est pas pour une fille respectable ou tu vas vite être affublée de petits noms…). le contrat voulait alors que ce n'est qu'une fois en couple que l'homme obtenait « des droits d'accès exclusifs » et la jeune femme, elle, obtenait une position sociale.
Le sociologue précise à juste titre que c'est l'homme (le dominant) qui va vers la femme pour créer un lien, un échange, et cette dernière -même si elle est en droit de refuser-, est, dans ces conditions, exposée à plus de harcèlements (plus ou moins violents).
Difficile pour moi d'essayer de ne pas trop approfondir les réflexions et l'analyse, d'essayer d'être concise sans éviter des propos qui peuvent sembler un peu clichés. Mais, il est aussi difficile pour moi de ne pas finir en disant qu'il y a encore beaucoup à faire pour l'égalité entre sexes, pour changer les mentalités, les comportements et discours sexistes (on pourrait faire un gros dictionnaire des citations les plus affligeantes des dirigeants politiques ! Ils rivalisent de tels bons mots et gestes…). Je n'oublie pas non plus que nous avons de la chance d'être des femmes occidentales et que, malheureusement, il faut un peu plus qu'une journée internationale des droits de la femme. Il serait intéressant de lire d'ailleurs des essais plus actuels, tenant notamment compte de la présence et frénésie des réseaux sociaux. Je me demande encore quelles vont être toutes les implications, à moyen ou plus long terme, à cette affaire Weinstein.
Allez, la petite note positive de la fin : si l'essai m'a permis d'y voir un peu plus clair, il m'a aussi rappelée que tout n'est pas pour autant critiquable dans les arrangements entre sexes :)

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