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Critique de Malaura


« le vent souffle des rides sur une mer calme et ces rides, qui donnent prise au vent, deviennent des vagues, et tandis que les vagues prennent de la hauteur, le vent les pousse avec plus de force, les accélérant, augmentant leur taille. Ce n'est pas l'eau elle-même qui voyage, mais l'énergie du vent. Cette nuit-là, où était la vague d'Aura dans son long voyage vers Mazunte ?»

On ne pense pas toujours à la force phénoménale des vagues venues de l'océan.
Des vagues à la puissance destructrice telle, qu'elles sont capables de vous briser net, aussi sûrement que si vous n'étiez pas plus qu'une brindille ondoyant sur l'eau ou l'un de ces bouts de bois flottés qu'on voit souvent échoués sur la grève.

Aura Estrada était la femme de Francisco Goldman.
Elle est morte le 25 juillet 2007, sur une plage du Mexique, d'un accident de body surf. Elle allait avoir 30 ans.
Elle a « pris une vague », comme on dit…Mais celle-ci ne lui a laissé aucune chance. Elle a littéralement cassé Aura, lui brisant les vertèbres, écrasant sa colonne vertébrale et sectionnant les nerfs qui contrôlent la respiration, le torse et les membres. On peut dire qu'Aura a joué de malchance sur une plage d'ordinaire paisible où nul accident n'avait jamais encore été dénombré.

Comment survivre à la tragédie ? Comment se reconstruire, se relever, ou simplement continuer à vivre quand l'être que vous chérissez le plus au monde depuis quatre ans vous est arraché de façon si brutale ?
A l'aube de la cinquantaine, Francisco Goldman avait rencontré Aura Estrada, jeune femme vive, drôle, intelligente, cultivée…
Ils s'étaient aimés, s'étaient accordés, et s'étaient mariés en 2005.
Aura était une personne extrêmement brillante. Universitaire, elle faisait un doctorat de littérature hispanique à Columbia. Mais son rêve était d'écrire. le temps lui fit défaut pour entreprendre tout ce qu'elle projetait de faire dans sa vie familiale et professionnelle : avoir un enfant, écrire des livres, devenir un écrivain reconnu…et bien d'autres choses encore auxquelles sa mort précoce a mis un terme dramatiquement, stupidement…absurdement.

La mort d'Aura a anéanti Francisco mais aussi tous les proches et amis qui l'aimaient, particulièrement sa mère Juanita, femme difficile, possessive et alcoolique qui n'a cessé depuis de reprocher à son gendre cet accident, essayant même de lui intenter un procès et le tenant pour responsable de la mort de sa fille.
Le « jeune » veuf traverse alors une période de confusion intense, une phase d'autodestruction qui le fait s'adonner à la boisson quasiment tous les soirs, sans pour autant arriver à apaiser son chagrin.
Une nuit, saoul, il est renversé par une voiture. Cet accident agit sur lui comme un électrochoc, la secousse qu'il lui fallait pour de nouveau affronter la vie.
Mais s'il souhaite recommencer une nouvelle vie, Francisco ne veut pas oublier celle qu'il aime. Il désire que le souvenir d'Aura ne soit plus un fardeau mais plutôt l'étai, le matériau, le soutien grâce auquel il pourra enfin se reconstruire.
Sa vie tendra désormais vers un but unique : rendre hommage à Aura, la faire vivre par-delà la mort, vaincre la peur de l'oubli en parlant d'elle, de ce que c'était qu'être Aura Estrada, de ce que c'était que vivre à ses côtés, garder une trace de ce qu'avait été leur vie de couple et la richesse de leur relation, faire en sorte que sa mort ne soit pas vaine.
Et « Dire son nom » est né.

Si « Dire son nom » est un récit de vie - la vie d'Aura, la vie de Francisco - il va pourtant bien au-delà de la simple narration de leur vie commune à tous deux et dépasse largement le cadre de la biographie.
Parce qu'Aura chérissait la littérature, la forme narrative que revêtait la fiction, la liberté, la vie, la créativité qu'insufflait le genre romanesque, Francisco Goldman a construit « Dire son nom » comme un roman.
Un roman où s'instaure une sorte de dialogue entre l'auteur et l'imaginaire d'Aura. Un voyage au coeur de la femme aimée, son mystère, ses douleurs, ses peurs, son enfance, ses chagrins.
Comme le souligne l'auteur, son livre prend « la forme d'une vague qui va et qui vient » en se construisant lentement, tantôt dans la douceur d'avant le drame, tantôt dans le déferlement des émotions et du chagrin d'après le drame. Une vague qui enfle, bordée d'écume, puis qui se brise et se dissipe en s'échouant sur la rive des phrases et des mots.
Un livre exutoire qui n'est pourtant pas un livre de deuil, qui n'est pas triste même s'il est émouvant car, comme un fantôme dont le temps est venu de passer de l'autre côté et auquel on doit se résoudre à dire au revoir, il est aussi une façon de la laisser partir en en gardant le souvenir près de soi, « avec cette impression qu'Aura est en lui maintenant, au bout de ces trois ans pendant lesquels il a écouté sa voix jour après jour, où il l'a couché sur le papier, où il s'est remémoré tous leurs moments passés, où il l'a entendu rire et parler ».

« Serrez-la fort, si vous l'avez, serrez-la fort, tel est mon conseil à tous les vivants. Respirez-la, mettez le nez dans ses cheveux, respirez profondément. Dites son nom. Ce sera toujours son nom. Même la mort ne peut le voler. le même, vivante ou morte, toujours. Aura Estrada. »

Prix Fémina du livre étranger 2011.
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