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Critique de Eric75


Jamais deux sans trois, voici donc, tout de goth, la critique du troisième album de la série. Dans la foulée des deux critiques précédentes, je vais analyser les évolutions constatées et mesurer les avancées identifiées sur les fameux fils rouges que je me suis fixés. Let's goth !

L'album sort en 1963, avec une prépublication dès mai 1961, ce qui montre un rythme de publication soutenu dès le départ, imposé par le Journal Pilote et ses deux co-rédacteurs en chef, d'autant plus que Goscinny et Uderzo travaillent en parallèle sur d'autres séries de bédés pour leur journal, respectivement au scénario et au dessin.

En 1961, le traumatisme de l'occupation allemande est encore bien présent dans les esprits. Il ne s'est écoulé que 16 années depuis la capitulation de l'Allemagne, et, même si vous n'avez pas connu personnellement cette période, elle reste omniprésente dans les conversations des anciens. le premier traité de Rome à l'origine de la construction européenne est signé en 1957 et il n'a que 4 ans d'existence. C'est dire si à l'époque, nombre de nos concitoyens voient encore dans la figure de l'Allemand un ancien ennemi, voire pire, un ancien nazi. Dans un tel contexte, sur fond de réunification franco-allemande, le choix et le traitement d'un album ayant pour thème la relation entre l'Empire romain et les peuples germaniques s'avèrent particulièrement intéressants.

En 50 avant Jésus-Christ, la Gaule est occupée par les Romains (excepté le village que nous connaissons bien), mais pour les Gallo-romains récemment unifiés, l'ennemi véritable réside au-delà des frontières impériales comme le démontrera plus tard la période des « Invasions barbares » qui succède au « Déclin de l'Empire romain » … Face aux barbares, Gaulois et Romains sont du même côté et se serrent les coudes, ce que symbolise parfaitement la couverture de l'album matérialisant une frontière en traits pointillés (comme si l'on était sur une gigantesque carte géopolitique) séparant bien la Gaule (donc l'Empire romain, comme le précise la pancarte) et le pays des Goths, la Germanie. Cette frontière est représentée de la même façon au cours du récit, planches 18 et suivantes, puis planche 42. Elle va être le lieu de multiples gags avec des allers et retours permanents opérés par les Gaulois et les Goths, faisant craindre le début d'une invasion.

Symboliquement, Astérix et Obélix vont même jusqu'à se romaniser, devenir Astérus et Obélus et endosser des uniformes romains, pour passer inaperçus et accéder à la frontière sans encombre.

L'ombre de l'Allemagne (du Saint-Empire romain germanique mais aussi du IIIe Reich) plane sur le pays des Goths, les exemples de transpositions anachroniques sont multiples : écriture en lettres gothiques, casques à pointe que n'aurait pas renié un Prussien (planches 2 et suivantes), représentation emblématique de l'Aigle noir du Saint-Empire (planches 34 et suivantes) au centre d'un rond blanc sur fond rouge – on ne peut être plus clair – et même une croix gammée représentée dans les « injures gothiques » (planche19).

Le scénario tient la route jusqu'au bout et donne sa cohérence à l'album, l'Empire sera finalement sauvé grâce à la ruse de nos héros, provoquant le déclenchement des Guerres Astérixiennes, épisode préfigurant les « Guerres des Goths » (249-553), dont les acteurs véritables furent par exemple Théodoric Ier et Alaric Ier (rois des Wisigoths), Ermanaric (roi des Ostrogoths) et Athanaric (roi des Goths). Ces personnages historiques sont les alter ego des protagonistes de l'album : Téléféric, Cloridric, Electric, Passmoilcric, etc. Les invasions barbares ne sont alors plus à l'ordre du jour et le déclin de l'Empire romain peut donc attendre. Panoramix résume très bien ceci en une seule phrase (planche 40) : « Tous les adversaires seront au même point, de force à peu près égale, ils continueront à se battre pendant des siècles… et ils ne penseront pas à envahir leurs voisins ».

Je ne résiste pas à la tentation de citer quelques bons jeux de mots, dignes du meilleur Goscinny : « Passe-moi le celte » ; « Non, les Wisigoths sont des Goths de l'Ouest, les Goths de l'Est, c'est des Ostrogoths, mais les Goths de l'Ouest habitent à l'Est par rapport à nous, tu as compris ? – Non ! » ; « Ta vie ne tient qu'à un fil, Téléféric ! » ; « Je vais être général ! le général Electric ! » ; et, à propos de ce dernier :« Je finirai par le court-circuiter » …

Le barde Assurancetourix habite pour la première fois dans sa hutte en rondins perchée dans les branches d'un arbre, se fait tabasser dès la première page et ne peut toujours pas accéder au banquet final. La musique adoucit les moeurs sauf dans Astérix.

Enfin, concernant l'évolution de la présence de personnages féminins dans cet album, la régression est totale (cf. mes deux précédentes critiques sur le sujet). On ne dénombre ici que deux femmes : sur la première image représentant le village, une passante assiste au départ de Panoramix pour la Forêt des Carnutes ; beaucoup plus loin planche 39, une forte femme Wisigothe engueule son mari et le menace avec un rouleau à pâtisserie, ce mari sans autorité qui est contraint de faire les courses est, du fait de sa faiblesse, « un candidat » à la distribution de potion magique, il surnomme sa femme « Bobonne ». Cette dernière est très représentative de la femme caricaturale représentée dans les premières bédés (on pense à Olive, la compagne de Popeye, souvent affublée d'un rouleau à pâtisserie). le banquet final ne réunit que des hommes et les femmes du village ont disparu. On passe donc de 12 personnages féminins à 2, une dégringolade !

Dans cet album, la qualité graphique montre l'extraordinaire maîtrise d'Uderzo notamment dans le découpage des plans et la gestuelle des personnages, et s'approche de celle de « l'âge d'or » de la série. Il ne manque que les grandes vignettes présentant par exemple des décors somptueux du monde antique (temples, villes romaines…), cela viendra plus tard.

Pour conclure, cet album confirme l'amélioration de la série, grâce à un scénario solide et une virée qui, pour la première fois, se situe hors de nos frontières et permet la caricature savoureuse d'une population étrangère à la Gaule. Ce principe deviendra par la suite une règle appliquée un album sur deux. Nous allons pouvoir vérifier cela lors des prochaines critiques…
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