AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Kirzy


Kirzy
08 septembre 2023
°°° Rentrée littéraire 2023 # 13 °°°

Lorsque nous faisons la connaissance de Christa en 2019, elle a quarante-quatre ans, divorcée, deux adolescents – crispants - à la maison, un assistant virtuel à la Siri nommé Andrew qu'elle a entièrement codé. Elle dirige une start-up de la Silicon Valley, spécialisée dans les biotechnologies, qui investit d ans l'intelligence artificielle et plus particulièrement dans un système prédictif de captation des données biologiques. Et elle vient juste d'apprendre qu'elle est atteinte d'une maladie neurodégénérative - de pure invention - qui, lorsqu'elle s'exprimera, la privera de tout accès à ses émotions, la rendant insensible à tout ce qui l'entoure. Elle se lance à la recherche d'une thérapie lui permettant de rester elle-même.

Durant tout son roman, Yannick Grannec explore avec brio notre rapport aux émotions et sentiments, ainsi que la place qu'on leur donne dans nos sociétés de plus en connectées, auscultation d'autant plus intéressante que son héroïne est surnommée la « Reine des glaces » tellement elle s'est bâtie une carapace pour réussir dans un monde d'hommes, se méfiant de toute émotivité extravertie alors qu'intérieurement, elle bouillonne d'amour pour ses enfants ou de colère vis-à-vis de son ex-mari.

« Comment aurait-il pu faire comprendre à Christa la complexité de la question des affects en quelques mots ? Comment, sans en dénaturer la beauté, résumer ce grand ballet neurochimique ?  Les sentiments donnaient au-dedans d'un être une représentation secrète ; les émotions, elles, s'offraient à la vue de tous en une chorégraphie continue de variations physiologiques et expressives, soumises à la musique des hormones et au tempo des viscères. Oui, aurait-il pu s'exalter, les affects étaient un spectacle si magnifiquement rodé ! Ça frétillait comme du Mozart, ça se déchainait comme du Wagner, ça pleurait comme du Mahler, et parfois … Et bien, parfois, ça merdait au niveau du cerveau. le cortex-chef d'orchestre prenait une pause syndicale ou la diva limbique avait ses vapeurs. »

La deuxième partie bascule dans une superbe ellipse temporelle qui projette la quête scientifique et intime de Christa en 2099, prenant un tour inattendu dont il ne faut rien dire de plus si ce n'est que l'I.A. a pris une place démesurée. J'ai particulièrement apprécié les références et résonances avec le Frankenstein de Mary Shelley autour de la question de l'acquisition ou pas d'une conscience par l'I.A. qui pourrait ou pas aimer au-delà de l'empathie artificielle pour laquelle elle serait programmée.

La lecture est intense, très exigeante avec ses passages très érudits sur la science et les biotechnologies ( la bibliographie finale est impressionnante ). Il m'a été impossible de gloutonner le livre comme à mon habitude et ai eu besoin de nombreuses pauses pour digérer son propos. Mon manque de culture scientifique n'a cependant pas été un frein pour apprécier ce texte foisonnant et déstabilisant. Je n'ai sans doute pas tout compris, mais je me suis sentie intellectuellement stimulée et ça fait du bien de lire une roman audacieux misant sur l'intelligence de ses lecteurs en proposant une réflexion aussi poussée ( et avec beaucoup d'humour ) sur la transformation de notre monde et son devenir, réflexion portée par un écriture de grande qualité qui aide à s'immerger ...

... jusqu'au dernier chapitre, juste sublime dans ce qu'il dit de déchirant sur le souvenir et la mémoire ainsi que sur l'émerveillement émotionnel qui serait encore possible dans une monde de plus en plus virtuel faisant doutant de la réalité de l'humanité de certains et ne plus douter de celle qu'auraient acquises d'autres sous-estimés.
Commenter  J’apprécie          10714



Ont apprécié cette critique (106)voir plus




{* *}