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Critique de SebastienFritsch


"Battements de coeur qui s'accélèrent". C'est par cette brève sentence que débute ce premier roman de Julie Gravel-Richard. Les phrases suivantes, tout aussi courtes et saccadées, taillées pour marquer le rythme de ce coeur angoissé, nous plongent dans des visions sanglantes... avant de nous faire ressortir dans le quotidien d'un jeune étudiant.
Marqué par un évènement traumatisant, Thomas a quitté Montréal pour Québec, abandonné les études de théologie pour celle de la littérature grecque et tourner le dos à tous ses proches pour s'imposer la solitude la plus complète.
En effet, entre ses cauchemars sanglants, les pétards qu'il enchaîne pour les chasser et les séances d'écriture au cours dequelles il tente de dompter et comprendre les ombres qui obnubilent son esprit, Thomas préfère fuir tout contact avec les autres êtres humains. Il évite même (ou surtout) son frère Justin, avec lequel il partage un appartement et deux ou trois mots de temps en temps, entre deux portes. Et lorsqu'il est contraint de parler, voire d'argumenter, notamment à l'université, il esquive toute explication trop personnelle, maquille ses motivations, camoufle ses sentiments.
Cependant, si le roman s'ouvre sur l'une des visions d'angoisse nocturne de Thomas et nous en offre encore de nombreuses par la suite, il ne faut pas se laisser aller à croire que "Enthéos" est un roman inquiétant, accumulant les scènes sanguinolentes pour entraîner le lecteur de page en page. Non, si le lecteur est entraîné (en tout cas, ce fut mon cas), ce n'est pas par les réminiscences des souvenirs violents de Thomas, mais plutôt par ce qui se construit en dehors de cette violence. Et en dehors de cette violence passée (mais qui marque encore lourdement Thomas), il y a le monde présent. le monde et les personnes qui y vivent ; le monde et les connaissances que l'on peut y acquérir, les expériences dont on peut s'enrichir, les rencontres que l'on peut y faire. Même quand on les fuit.
Je n'en dis pas plus, pour laisser au futur lecteur la possibilité de découvrir peu à peu, comme l'a voulu Julie Gravel-Richard, l'évolution de Thomas. Mais j'insisterai simplement sur ce point : ce que j'ai retenu de plus marquant dans ce roman n'est pas la révélation progressive des circonstances du traumatisme de Thomas, mais bien plus les échanges, les partages qu'il va devoir accepter de vivre, malgré son voeu initial de solitude. Ces échanges (au cours desquels l'auteur nous invite tout autant à arpenter la ville de Québec qu'à nous lancer dans l'exégèse de l'Apocalypse de Jean, des Nourritures Terrestres de Gide ou du théâtre d'Euripide), sont les moments que j'ai vraiment préférés. La plume de Julie Gravel-Richard sait donner vie avec délicatesse à ces scènes et elle expose avec une parfaite fluidité les échanges d'idées, même les plus complexes.
De ce fait, la révélation concernant le choc subi par Thomas, qui se fait petit bout par petit bout, m'a semblé beaucoup moins intéressante. Peut-être parce que j'avais commencé à m'attacher aux personnages du présent, à leurs discussions, leurs face-à-face, et que les retours du passé venaient couper ce fil le long duquel j'appréciais d'avancer. Et aussi parce que - je le répète - ce roman n'est pas un roman d'angoisse, pas un roman d'action, mais plus exactement ce que j'appelerai un roman de sens : il porte en lui une signification, une réflexion, notamment sur les buts que l'on donne à nos vies, sur les façons de vivre (ou pas) au milieu de ses semblables, mais aussi sur la foi (en Dieu, en l'homme, en un idéal, en ce que l'on veut et qui justifie l'utilisation de ce mot "foi"). C'est en cela que ce roman est le plus touchant et le plus réussi. D'autant plus que, pour les questions qu'il pose, il propose presque autant de réponses qu'il y a de personnages. A chaque lecteur, ensuite, de savoir laquelle lui convient. Ou d'en inventer une autre, en prolongeant, à sa façon, le parcours débuté entre les lignes d' "Enthéos".
Lien : http://sebastienfritsch.cana..
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