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Critique de brumaire


J'ai découvert Julien Green à l'adolescence. Je me souviens du plaisir éprouvé à la lecture de Léviathan, du Visionnaire, de Chaque homme en sa nuit....J'avais 16, 17 ans et j'ai aimé ces romans de Green pour de fausses raisons. Je ne savais pas alors l'importance que revêtait pour l'auteur , la religion, les problèmes du bien et du mal, l'homosexualité, la culpabilité....Je découvrais dans ces romans une atmosphère onirique proche de celle que Edgar Alan Poe instille dans ses contes. J'étais en ce temps là un fervent lecteur de la collection "Fantastique" des éditions Marabout : Gustav Meyrink, Heinz Ewers, Michel de Gheldérode, Claude Seignole, Jean Ray....Je ne voyais Green que comme un continuateur , ou un compagnon, de ces maîtres.
Beaucoup d'années ont passé .....(soupirs...). Je suis revenu à Julien Green très récemment par " Les pays lointains" , un" remake" de Autant en emporte le vent. Bouquin intéressant , un genre Maurice Denuzière : le Sud, les plantations de coton, la guerre de sécession....agréable à lire. Et puis , dans une vente de livres d'occasion , dont la recette est destinée à quelque bonne action en Afrique ( pas oublier, j'habite en Vendée....les assos , surtout cathos, sont légion...) , pour cinquante centimes d'euros , je me suis offert "Minuit" , une vieille édition du Livre de Poche (la couverture n'est pas celle montrée ici) . Et j'ai retrouvé l'enchantement éprouvé à l'adolescence !
Une lecture troublante partagée en rêve et réalité. Dés le commencement du roman le lecteur, s'il veut bien "jouer" le jeu, est plongé dans un monde décalé qui ressemble au notre par les occupations vulgaires du commun , mais qui par quelques touches étranges dues à l'art d'écriture de Julien Green, le font pénétrer de l'autre côté du miroir. Alice ici s'appelle Elisabeth ; elle est orpheline , sa mère s'est suicidée par amour . On s'attend donc a une variation littéraire sur la pauvre délaissée aux prises avec ses méchantes tantes , du Dickens comme l'on bien vu les auteurs de critiques précédentes , et puis très vite on passe dans une autre dimension où la logique est vite mise à mal. Elisabeth s'enfuit de chez ses tantes, se trouve adoptée par un couple de petits bourgeois ( l'erreur serait de se poser la question triviale : " mais ses tantes ne l'ont pas fait rechercher par la police ? " ) , puis son bienfaiteur étant décédé , elle se retrouve dans une maison, un château dirions nous, étrange et inquiétant , entourée de personnages pour le moins bizarres. La raison n'est jamais dite et c'est cette partie du roman qui a troublé certainement beaucoup de lecteur. Julien Green en bon sudiste américain devait connaître les oeuvres de Poe, peut-être Lovecraft , car ce château ne déparerait pas dans une nouvelle des deux précités.
L'héroïne, alors âgée de 16 ans , erre dans cette sombre demeure jamais éclairée, où ses locataires apparaissent et disparaissent mystérieusement au détour des multiples couloirs et portes dissimulées. le lecteur insensiblement, par quelques indices anodins, subodore que tous ces personnages, dont le mystérieux Mr Edme, a quelque chose à voir avec l'évènement fondateur de l'histoire : le suicide de la maman de l'héroïne.

On peut bien sûr se contenter d'apprécier ce roman en considérant uniquement l'événementiel , l'histoire....Comme je l'aurais fait il y a 50 ans .
On peut aussi , sachant les préoccupations religieuses de Julien Green (il abjure le protestantisme pour se convertir au catholicisme ), y voir une superbe allégorie platonicienne des deux mondes : celui d'ici bas, le réel, entaché du péché, et celui de l'invisible, celui des âmes, le monde parfait des idées....Le décryptage n'est pas aisé car il me semble que l'auteur a mis un malin plaisir à brouiller les évidences. On voit bien, par exemple , que le beau Serge, le beau jeune homme dont s' éprend Elisabeth, peut représenter le monde d'ici bas, imparfait et mauvais. Et Mr Edme alors ? Mr Edme avatar du Christ ? Mr Edme présidant le souper du soir avec autour de lui les douze membres de sa famille....ça ne vous rappelle rien ? et ce serviteur , humble, rabroué, un peu simplet, et qui se prénomme Agnel...
Je soupçonne Green de s'être diverti ( l'humour n'est pas absent de ce livre...un humour pince sans rire qui sied à cet aristocrate sudiste ! ) , à semer indices et ....chausse-trappes.
Il va sans dire que j'ai été emballé par ce livre , et que, plus que jamais , je tiens Julien Green pour l' un des plus grands écrivains français. Une somme m'attend : son journal !


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