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Critique de fanfanouche24


Je me suis précipitée à la médiathèque afin d'emprunter le premier roman de cet écrivain talentueux, après avoir été captivée par son dernier opus "Maîtres et esclaves"...Une histoire très dense et dramatique se déroulant dans la Chine maoïste des années 50 aux années 70...On accompagne le parcours des plus éprouvants, d'un peintre-paysan, fils lui-même d'un peintre-paysan, qui ne se laissera pas embrigader par le nouveau régime...mais il y perdra la vie !

Son fils, jeune recrue, douée pour le dessin , servira la propagande de
Mao-Zedong, deviendra le censeur des autres artistes, reniera son père, ses amis, ses proches pour juste "sauver sa peau" !... échapper à la misère, aux humiliations et à la peur constante...générée par le régime. La vie d'un individu surdoué en dessin et peinture, broyé par un système, alors que dans "Les âmes rouges", se faufile un peu d'oxygène, de l'espoir, avec Vladimir Katouchkhov,responsable de la censure des livres...qui va finir par "regimber"...

Un fils sincèrement épris de littérature, embauché, tout jeune , au sein du Glavlit [ département étatique qui statue sur tout ce qui est publié sur le territoire russe] se chamaille avec sa mère, avec laquelle il vit. Cette dernière, ancienne institutrice, regrette les fonctions restrictives de son "rejeton"... Elle lui réclame le célèbre roman de Pasternak , "Le Docteur Jivago", qu'elle voudrait relire, qui est interdit...
Il refusera... et finalement , il découvrira par hasard, que sa mère a réussi à le dénicher; il le dévorera en cachette, avec enthousiasme... se demanda bien pourquoi ce texte a été censuré....

Il fera, près de 35 années, sa carrière de "censeur" au sein du Glavlit, mais on le voit se transformer au fil de ses années d'exercice, parrallèlement aux transformations du régime...du terrible Staline, aux années Khrouchtchev à celles de Gorbatchev (qui fera une loi, pour l'abolition pure et simple de la censure !!) en passant par la rude période Brejnev...


"Ce livre séminal -printed in the United States of America-, que Katouchkov lit sans se presser, est sorti des presses new-yorkaises en 1952. Il a mis plus de neuf ans à parvenir entre les mains du censeur, et son périple mérite à lui seul un roman. Ainsi Katouchkov en savoure -t-il chaque mot, en palpe-t-il chaque phrase, en soupèse t-il chaque chapitre - ici appelé "Note". Il prolonge le plaisir parce qu'il prolonge la transgression, le danger. Et dans ce danger, il est lié à sa mère. Olga Katouchka ignore qu'il a lu son - Docteur Jivago- Mais elle est dangereuse, comme lui, parce que portée par l'insatiable curiosité de l'esprit, par l'ardeur farouche de l'intelligence qui ne sait pas trouver le repos. Pour Olga Katouchkova, pour Vladimir Katouchkovv, pour des millions de Soviétiques, les années Khrouchtchev devaient rester comme un âge d'or relatif (...) Et ce court âge d'or suffit à semer le germe de l'impertinence. (p. 83)"


Chapeau bas à cet auteur, qui a le don de la narration, tout en nous offrant une profusion d'informations sur la littérature russe, ainsi que sur sa production cinématographique ! Un roman tout à fait époustouflant, fort documenté, qui nous fait re-parcourir l'histoire de l'U.R.S.S. sur plusieurs décennies

Entre autres, des passages jubilatoires sur les samizdats...pour lesquels notre "censeur" se prend d'une vraie curiosité passionnée !!
[Le samizdat (en russe : самиздат) était un système clandestin de circulation d'écrits dissidents en URSS et dans les pays du bloc de l'Est, manuscrits ou dactylographiés par les nombreux membres de ce réseau informel.]

"Plus il lisait de samizdats, et plus Katouchkov aimait cela. Pour une raison simple : ils le faisaient rire. D'un rire un peu cruel, dirigé contre le monde, mais surtout contre soi- comme quand on rencontre un réverbère parce qu'on a suivi du regard une femme. D'un rire empoisonné, parce qu'il vous forçait à vous regarder dans la glace. Et à ne plus vous raconter d'histoires, ni à prendre "tout ça" très au sérieux. Il ne reprochait donc plus à Agraféna ses lectures. Il les guettait même avec impatience, ces précieux feuillets de toutes sortes, bientôt plus beaux à ses yeux que toutes les bibliothèques reliées d'U.R.S.S." ( p. 202)"

Bref , entre véritables écrivains, véritables artistes et personnages inventés... nous apprenons une foule de choses, de l'Histoire russe et des restrictions gigantesques empoisonnant la vie culturelle de ce pays, enfermé dans les propagandes communiste et socialiste, et le long chemin... qu'il fallut pour que ces bureaux de la Censure disparaissent....!!

Un seul bémol, mais tout à fait infime, qui m'a parfois légèrement "embrouillée" : une abondance de personnages, dont certains que l'on ne croise que très fugitivement , et qui disparaissent...aussitôt !!!

"Si Katouckhov a recours à la littérature interdite, c'est parce que la littérature "officielle" , à cause de la bureaucratie culturelle, vient au monde au compte-gouttes. Au forceps. Et qu'elle est, à vrai dire, bien pâlichonne. Dénuée en tout cas du pouvoir révolutionnaire du verbe voulu, de l'émotion ressentie- et non projetée. Pâlichonne, parce que si elle se regarde en face, "miroir qui se promène une grande route", elle est surtout en U.R.S.S. un miroir sans tain. (...) Katouchkov a donc faim de livres qui ne l'infantilisent pas, de livres substantiels." (p. 84)

Un hommage à la Dissidence, et à la Liberté de penser, d'écrire, de lire...La conscience universelle et toujours présente dans certains régimes totalitaires : le courage de penser, de s'exprimer, au péril de sa liberté ou de son existence...

Un moment captivant de lecture. Bravo et Merci à l'auteur...!

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