Le premier jour du reste de ma vie

Elle ignore la suite. Elle avançait sur un chemin dont elle connaissait chaque brin d’herbe, chaque caillou, la destination ; elle le quitte pour un autre, sauvage et inconnu. Elle trébuchera sans doute, glissera parfois, tombera dans des pièges, certainement. Visibilité zéro. L’année à venir s’annonce mystérieuse, excitante, angoissante. Elle l’aborde joyeuse, forte et pleine d’espoir. Et un peu pompette, aussi. 

il donne envie de voyager partout dans le monde

Les trois femmes joignent leurs papiers, les roulent, puis y mettent le feu avant de les lâcher au-dessus de l'océan. Pendant que les choses qu'elles ne regrettent pas volent en fumée, elles récitent en choeur leur mantra.
- Aujourd'hui est le premier jour du reste de ma vie !

Marie ne supporte plus sa voisine de cabine.
Pourtant, elles ne se sont jamais parlé.
C'est une Italienne d'une trentaine d'années.
Pas très grande, des cheveux blonds et courts plaqués en arrière, un nez qui ne s'excuse pas d'être là et une bouche pincée comme si elle était toujours en train de sucer des citrons.
Moyennement jolie, mais elle en impose. Elle aimante les regards. Et elle casse les oreilles.

Partir a été sa décision la plus difficile. Abandonner tout ce qui a été sa vie durant vingt ans, quitter tous ses repères, transformer son quotidien en souvenirs, mettre un terme à sa famille, ça ne se fait pas sans mal.

ça fait du bien d'entendre parler français! J'ai cru qu'il n'y avait que des étrangers ici. Déjà que y que des vieux, si en plus, ils parlent pas français, je suis au bout de ma vie. Je m'appelle Camille, au fait.

-Je suis française, répond Anne. En revanche, j'ai bien peur d'être vieille.

-C'est mieux que rien. je supporte pas la solitude.

Marie hausse un sourcil.

-Je pense que vous vous êtres trompée de croisière alors...

-non, mais j'avais pas compris le truc solitaire, là, j'ai pas bien lu la brochure. Il fallait que je fasse le tour du monde, et c'était la seule croisières à cette date là.

-Il fallait? répète Anne.

-Ouais, j'en pouvais plus de ma vie plan-plan, le boulot, les copains, les factures... J'ai même pas ving cinq ans bordel! Alors, j'ai pris un congé et je me suis lancé un défi: je vais me taper un mec dans chaque pays.

Assis à côté de Marie, un homme aux cheveux gris manque de s'étouffer avec une rondelle de chorizo.

-Vous tapez un mec dans chaque pays? répète Anne en détachant chaque syllabe.

-ben, ouais! Enfin, je dis pas que je vais coucher à chaque fois, hein. Juste quand ils seront vraiment canon, sinon la langue suffira.

(...)

-Et vous faites quoi comme boulot? demanda-t-elle.

-Je suis gestionnaire de patrimoine dans une banque privée. Uniquement les grands comptes. ça étonne toujours. Parait que j'ai pas le profil type.


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