Je me demande souvent si le moment que je suis en train de vivre restera gravé ou s'il s'évaporera. J'aimerais savoir comment se passe la sélection, quel critère transforme un épisode en souvenir.
Papa.
C'est le premier mot que j'aie su prononcer.
Un mot tout bête, qui sert sans qu'on y pense, sans demander la permission. Un mot comme un automatisme, comme une respiration. Un mot d'enfant, un mot d'amour.
Un mot comme un membre fantôme, qui fait mal quand il n'est plus là.
Même au creux des moments les plus sombres, il arrive qu’on rencontre un instant suspendu de bonheur.
J'admire les personnes qui arrivent à lâcher prise, à se moquer de ce qu'en penseront les autres, à ne pas chercher à tout prévoir, anticiper, cadrer, régler, organiser.
Je bouffe mes émotions. Je mastique mes chagrins, j'engouffre mes angoisses, j'ingurgite mes joies.
Un mot tout bête, qui sort sans qu'on y pense, sans demander la permission. Un mot comme un automatisme, comme une respiration.
J'ai rapidement compris que les mots détenaient le pouvoir suprême : celui de faire vivre d'autres vies que la sienne et de provoquer des émotions intenses, rien qu'en étant posés les uns à la suite des autres.
La nuit est devenue le refuge de mes idées noires. Vers trois heures du matin, sous le règne de la pénombre et du silence, le sommeil se défile et le ballet des regrets commence. Les premiers rôles sont tenus par Nostalgie et Culpabilité, qui enchaînent les arabesques dans le passé.
J'aurais dû voir. Il y avait des signes. Cette indifférence à notre égard était inhabituelle.
J'ai passé des années à laisser le passé à sa place. Depuis plusieurs semaines, il vient régulièrement me visiter, comme si le fait de déplacer un élément central de cette période faisait bouger tous les repères.
J'aime les lundis, les premiers du mois, le jour de l'an, les débuts de saison. On efface les ardoises et on s'accroche aux résolutions, ce sont des nouveaux départs sans renoncement.