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Critique de PetiteBichette


Chaque phrase cogne, grince, dérange.
Lecteur, n'espère pas ici trouver le moindre répit. Pris d'un vertige, nauséeux, tu titubes au bord du gouffre, tes pas mal assurés manquent de t'y précipiter à chaque instant. Tu essayes d'aspirer une goulée d'air dans ce trou noir, mais le voile sombre t'emmène toujours plus loin vers le fond, des bras puissants t'attirent vers les enfers à la manière de sables mouvants, ta cage thoracique compressée implore la clémence … Mais Jakob Guanzon te tient fermement la tête sous l'eau des chiottes et ne la soulève que pour mieux l'y replonger.
Moi qui aime la noirceur, me voilà bien servie ! Peut-être même trop, je suis parfois mal à l'aise et n'hésite pas à rompre le fil de ma lecture, l'auteur verse ici dans l'outrenoir à l'aide d'une écriture puissante et sombre.
Je pense que les visions données par ce bouquin vont me poursuivre un certain temps, des visions cauchemardesques d'un homme et son fils.
Henry, le père, est un paria, en marge de la société ; ado junkie mais pas méchant, ex-taulard, il avait la possibilité d'une vie meilleure, celle dont son père peu démonstratif mais pourtant aimant rêvait pour lui. Son père, Itay, immigré philippin, aurait pu mener une brillante carrière universitaire, mais pour n'avoir pas su être maitre de ses nerfs face à l'un de ses élèves, cet homme se retrouve à faire le manoeuvre sur des chantiers de BTP. La mère d'Henry est morte trop tôt, laissant son mari aigri seul face à ses responsabilités de père.
Le récit alterne les chapitres entre le présent d'Henry qui vit dans sa voiture avec son fils Junior de 8 ans, et le passé, le récit de la rapide descente aux enfers, alors que quelques mois plus tôt Henry espérait une vie meilleure avec un toit au-dessus de sa tête auprès de la femme qu'il aime et de son fils.
Ce livre répond à une question essentielle dans nos sociétés occidentales. Lorsque nous passons à côté d'un SDF avec un enfant, notre coeur se serre, et la question que nous nous posons, est comment en arrive-t-on là ? Jakob Guanzon répond à cette question avec talent. Il décortique notre société d'abondance, de supermarchés débordant de victuailles, de fontaines de soda coulant à flot dans les McDo. Mais ce rêve écoeurant de surconsommation l'est d'autant plus que certains n'ont même pas accès au minimum vital.
Pour ceux-là, la maison n'est pas accueillante et proprette, bordée d'une jolie pelouse, non, c'est un vieux mobil home loué, rouillé, qui gît au milieu d'une terre pelée et par endroits semblable à une décharge.
Racisme, préjugés, absence de perspectives, d'éducation, mauvaises fréquentations, les petites bifurcations prises au cours de la jeunesse peuvent se révéler des impasses à l'âge adulte. Mais la société n'offre que très rarement une seconde chance, encore moins quand la couleur de peau est un peu trop dorée. Alors de petites combines en lignes de cocaïne, Henry prend le mauvais chemin, les mauvaises décisions, jusqu'à ce qu'il ne soit plus possible de faire marche arrière à bord du pick-up. La spirale de la misère avale, broie, vieux, jeunes, femmes, enfants sans distinction.
Alors pourquoi « que » 4 étoiles ? le bémol de mon point de vue est que le style froid et grinçant m'a empêchée de m'attacher aux personnages autant que je l'aurai souhaité. J'aurais surement été plus touchée si certains chapitres avaient donné voix à Junior, elle m'a manqué par moment. Il y a également des redites dans les multiples ruminations d'Henry, tant et si bien que j'ai raté quatre ou cinq chapitres, ce dont je ne me suis aperçue qu'une fois ma lecture terminée !
Un premier livre d'un jeune auteur américain prometteur.
L'écriture implacable de l'enterrement du rêve américain pour les laissés-pour-compte, condamnés à la misère sans espoir d'élévation dans l'échelle sociale ni de rédemption, même quand un enfant est pris dans les dents de l'engrenage.
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