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Critique de Dixie39


Avant de parler du contenu de ce livre reçu dans le cadre d’une masse critique, je souhaiterai avant tout remercier Babelio et les éditions LaBaconnière, puis vous faire partager mon impression sur l’objet livre en lui-même et mon ressenti à sa réception.
Ce livre est un bel objet : qualité et format en font un livre prometteur. Mon premier réflexe a été de le feuilleter, et là, j’avoue, j’ai été un peu « refroidie» face à la qualité assez inégale des photos qui le composent. La photographie d’architecture, c’est une œuvre dans une œuvre, la continuité du trait de crayon de l’architecte : Cette mise en lumière manque !
C’est le seul bémol que je peux trouver à cet ouvrage, plus une déception face au fait qu’on « sacrifie » l’image au bénéfice du texte, car franchement, éditer un si bel ouvrage en lésinant sur le budget photo, j’ai du mal...
Mais, bon, refermons la parenthèse et revenons-en au Paul & Henri Carnal Hall :

Donc, voici entre mes mains un bien bel ouvrage, dont le propos, édité en anglais et en français, a renforcé l’intérêt que je lui portais. Philippe Gudin, directeur de l’institut Le Rosey, en Suisse (une école privée qui accueille les enfants des fortunés de ce monde), nous fait partager cette passion de l’éducation qui l’anime et ce projet de lier au patrimoine historique déjà existant, la construction d’un bâtiment moderne qui saurait se fondre dans ces lieux traditionnels, sans les écraser, ni disparaître dans l’ensemble. Et faire de ce nouveau lieu d’enseignement le fer de lance d’un apprentissage moderne favorisant l’accès immédiat et naturel à la pluralité des arts et des savoirs, sans perdre de vue tout l’apport de la tradition.

Ses réflexions font l’objet d’un discours quasi philosophique sur les bienfaits d’une éducation holistique ne négligeant ni l’art, ni le sport, et sur ce qu’il y a d’enrichissant pour un enfant à évoluer au sein d’une communauté multiculturelle et multiethnique. Philippe Gudin est pertinent dans ses affirmations et on ressent tout du long de son discours sa bienveillance et son investissement dans ce qui est pour lui, une vraie « mission ».
Alors, je vous l’accorde, nous sommes ici dans « une école de riches », où toutes les diversités sont présentes, sauf peut-être la diversité sociale (et encore, vu de leur point de vue, la différence doit se faire également entre les « très, très, riches » et les « tout juste riches », les têtes couronnées de la vieille Europe et les nouveaux leaders des pays émergents). Certes, me direz-vous, à 120 000 francs suisses l’année de scolarité pour un enfant, Philippe Gudin peut se targuer d'offrir une éducation irréprochable à ses pensionnaires. Mais là n’est pas le propos et cela ne nuit en rien à l’intérêt de son discours.
Ce que j’en retiens surtout c’est que ces écoles sont la preuve vivante, si tant est qu’on en ait encore besoin, de ce que peut une éducation qui se donne les moyens et qu’en nivelant l’enseignement par le bas, il n’en ressortira rien de bon. Ici, le latin et le grec, les classes européennes (que dis-je internationales) sont le minimum syndical.
Philippe Gudin accueille au Rosey les enfants des plus grosses fortunes du monde et leur offre une éducation qui non seulement va leur donner les moyens de s’épanouir personnellement, mais également leur permettre de préserver « l’empire », la fortune, l’entreprise... de leurs parents et de les faire fructifier.
Philippe Gudin ne fait pas mystère des frais de scolarité, ni du discours d’entrée destiné aux enfants qui franchissent le seuil de cette institution : «Reconnaissons d'emblée que les Roséens sont des privilégiés. Ils le savent, et savent que cette situation a des exigences. A l'intention de ceux qui auraient encore un doute à ce sujet, nous ne cessons de leur rappeler la fragilité de toute situation. Par exemple, à ceux qui sont persuadés de succéder à leurs parents, estimant légitime d'hériter automatiquement de leur trône, leur entreprise, leur fortune, nous démontrons que les trônes sont soumis aux aléas des mouvements rapides de l'histoire, que les entreprises exigent des compétences de plus en plus pointues et que les fortunes se défont au gré des caprices de bourses, sans oublier les appétits, fiscaux sur les successions ! »

Personnellement, qu’il existe des écoles de ce type ne me choque pas. Ce qui me choque, c’est que le concept qu’on y applique ne se développe pas dans les écoles de nos enfants et qu’au contraire, on est en train de nous expliquer que cette réforme vers le bas est pour « leur bien ». Les notes les traumatisent ? Mais seront-ils armés face à ceux à qui on aura donné les codes et les règles du jeu de notre monde et qui seront en position de faire tourner la société sans eux ?
Est-ce qu’on fabrique des décideurs, des dirigeants d’un côté, et de l’autre des exécutants et des manœuvres, avec de temps en temps, quelques uns qui sortent du lot par une idée lumineuse, un projet génial qui leur permettent d’aller jouer dans la cour des grands ?
Je vous entends de là : « c’est déjà le cas ! ». Oui, c’est déjà le cas. Alors qu’attendons-nous pour nous donner les moyens, si ce n’est de changer les choses, d’au moins réduire l’écart ? (Je ferme la parenthèse).

Le livre se clôt sur une interview des deux protagonistes principaux : Philippe Gudin et Bernard Tschumi, architecte, porteur du projet.
Bernard Tschumi a une démarche qui correspond tout à fait à l’état d’esprit dans lequel est né ce projet. pour un architecte de cette renommée, cela fait du bien de constater que sa motivation première n’est pas de créer du « Bernard Tschumi » à tout va dans le seul but d’imprégner sa patte dans les lieux pour s’inscrire dans le temps (certains diront l’Histoire), mais de proposer une construction qui s’inscrit dans le vécu, les aspirations, la nécessité de ceux qui vont y vivre. (oui, je sais, c’est le credo des architectes, mais bon, comment dire, dans les faits...)
Il arpente les lieux, prend des notes, respire les odeurs du temps, interroge les élèves et évalue la vie de ce campus pas tout à fait comme les autres. Son but n’est pas de convaincre Philippe Gudin de la nécessité de réaliser la vision de Bernard Tschumi, architecte renommé qui va illuminer de son aura ce grand projet, mais de prendre en compte tous les espoirs, les attentes afin de trouver un concept novateur et beau qui saura convaincre l’ensemble de la communauté de son évidente nécessité.
La différence peut sembler minime, mais elle est essentielle.

« En juin 2013, le gros œuvre était fini et les Roséens, incapables d'attendre la fin des travaux, ont confié au béton une capsule scellée qui ne devra être ouverte que dans cinquante ans. Ils lui ont confié messages, photos, films et divers reflets de la vie des jeunes gens d'aujourd'hui. J'ai aussi écrit une lettre à mon successeur de 2063 et lui dit notamment :
Je vois le Carnal Hall comme un antidote au développement rapide et spectaculaire de la culture numérique. J'estime que l'ouverture à la sensualité et à la créativité, que seuls peuvent donner les arts, répondra à la nécessité d'élever les leaders de demain dans une culture humaniste (…) Je confie ces espoirs à cet édifice ».

Et dire que cette petite merveille d’architecture n’est qu’à une centaine de kilomètres de chez moi...
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