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Critique de Zebra


Zebra
23 septembre 2013
Russe, diplômée de l'Institut de Littérature de Moscou, vivant à Moscou, connue pour ses traductions d'auteurs espagnols et pour ses nouvelles, Nadya German écrit en 2009 « Проснутсья зимой » (en russe, « Se réveiller en hiver » ; traduit en français par « Les enfants de Rogojine »). En 2009, Nadya a presque quarante ans. Se jetant à l'eau, faisant son « mea culpa », se basant sur sa propre expérience d'intermédiaire et sur des faits réels, elle nous livre -sous la forme d'un roman simple, intime et triste- un documentaire sur les réseaux maffieux d'adoption internationale qui sévissaient alors en Russie : « je vais te dire un secret. En Russie, les enfants sont devenus la principale matière première. Avant le pétrole et l'immobilier ». En 10 ans, soixante mille enfants russes ont été adoptés par des étrangers, dans des conditions qui s'apparentaient parfois à de l'escroquerie pure et simple : extorsion de fonds, corruption de fonctionnaires, faux certificats médicaux, enlèvements et échanges d'enfants, chantage à la dénonciation … Dans ce livre, rien ne vous sera épargné : vous serez happés par la lecture et vous aurez toutes les peines du monde à vous arrêter.

L'histoire ? Nina, une doctorante en langues étrangères de l'Université de Moscou, enseigne à temps partiel et vit chichement avec Zoïa, sa mère, une chercheuse en biologie et spécialiste du Grand Nord. Un jour, Nina se voit offrir un travail temporaire de traductrice, dans une petite ville située à 300 km de Moscou : cette ville s'appelle Rogojine (d'où le titre français de l'ouvrage). En fait de traduction, Nina va servir d'intermédiaire entre des fonctionnaires -chargés d'instruire des demandes d'adoption internationale- et des couples venus spécialement d'Espagne pour adopter des enfants abandonnés : en Russie, les orphelinats regorgent d'enfants abandonnés. Au départ, c'est avec plaisir que Nina exécute sa mission : Nina, qui est une jeune idéaliste travaillant à sa thèse sur Dali -sous la houlette d'Eva Vostokova, éminente universitaire- a le sentiment du travail bien fait et la satisfaction du service rendu : les orphelins trouvent pères et mères. Mais, peu à peu, Nina découvre la face cachée de l'adoption : Xénia -qui pilote Nina au quotidien - offre de plus en plus d'argent à Nina en échange de son travail mais surtout de sa discrétion. Au bout de dix-huit mois, Nina se trouve à la tête de quatre-vingt mille euros : elle va alors réaliser qu'elle peut s'offrir un peu d'aisance, du confort, voire un peu de luxe : restaurants, vêtements de marques, voiture. Elle quitte donc son poste d'enseignant et se consacre à plein temps à sa nouvelle passion : Xénia lui confie de plus en plus de responsabilités, court-circuitant Kirill, gros bonnet maffieux de l'adoption internationale en Russie, et magouillant à qui mieux-mieux. D'orphelinats en parents adoptifs, Nina découvre progressivement une corruption glauque et malsaine : elle prend peur, car dans ce commerce où l'arnaque n'a pas de prix et où le pouvoir et des sommes colossales sont en jeu, c'est à celui qui mangera l'autre, sans scrupules …

Rien de marquant ou d'édifiant là-dedans, rien à quoi se raccrocher, un assemblage de fragments de vie, aléatoires et peu intéressants ? Faux ! Avec « Les enfants de Rogojine », vous pénétrez, certes, de plain-pied dans le sordide (sous l'emprise de l'alcool, des fillettes violées par leurs pères, leurs beaux-pères et les invités ; l'alcoolisme foetal et le retard mental de nombre d'enfants) mais au fil des 331 pages de l'ouvrage vous tombez sous le charme de la poésie (le duvet de peuplier qui couvre le sol, cf. ma citation), de la tendresse (Nina a une folle envie d'adopter Rita), de la beauté de la nature (« en avril, ils roulèrent dans le ciel ; en haut, en bas, tout était bleu, brillant ») et du pittoresque (isbas de bois, saucisson de fressure, vodka de betterave, iorch, cerisiers en fleur …). Les rappels historiques (les massacres de Tambov) sont assez peu présents. En conclusion, un livre émouvant, sans pleurnicherie inutile, pour comprendre les dessous d'une réalité qu'on espère révolue.
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