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Critique de Lucilou


Bénie soit la libraire qui me proposa un jour cette pépite méconnue en réponse à mon marasme, et ce alors que j'errais comme une âme en peine dans les rayons de la librairie, en cherchant sans la trouver la lecture qui me ferait la grâce de ses enchantements.
Peut-être connaissez-vous cela vous aussi: savoir qu'on veut un livre mais ne pas savoir lequel, n'être tenté par rien et envahi par une sensation de frustration et de lassitude. Notre vie est alors tout entière entre les mains des libraires (j'exagère à peine!) S'ils savaient!..
Je me revois appeler la mienne au secours et lui dire que je voudrais bien "un roman historique, mais pas mièvre comme ce qu'on trouve parfois, qui soit bien écrit et qui ne soit pas un classique, sur un sujet pas rabâché mille fois donc exit les templiers ou l'affaire des poisons, qui soit bien documenté aussi. L'époque importe peu mais quand même j'ai des envies de Moyen-âge en ce moment".
Croyez-le ou pas, mais elle m'a écouté patiemment (elle est parfaite ma libraire) et n'a pas hésité une seconde avant de se lancer à l'assaut de ses rayonnages pour me dégoter cette petite merveille au titre non moins merveilleux: "En la forêt de longue attente".
Le Graal du jour est une biographie romancée du prince et poète Charles d'Orléans, celui-là même dont on a appris, écoliers, le poème sur le printemps: "Le temps a laissé son manteau/de vent, de froidure et de pluie/et s'est vêtu de broderies/de soleil luisant clair et beau (...). La vie du personnage valait bien un roman: quelle vie ce fut en effet! Et quel roman! Charles était le neveu du roi Charles VII -le roi fou, celui du bal des ardents- et de la reine Isabeau de Bavière, ce qui en fait un prince de sang. Son père n'était autre que le frère du roi, le beau Louis d'Orléans qui prit la tête du parti des Armagnacs et qui se fit lâchement assassiné dans une ruelle sombre sur ordre du duc de Bourgogne (un temps grâce au beau Louis, je suis passée aux Armagnacs avant de réaliser que ces clans, au fond, se valaient tous et pas pour le meilleur). Sa veuve, la très jolie Valentine Visconti, ne s'en remit jamais et fit promettre à son fils de treize ans de venger son père avant de mourir de chagrin et sans doute d'autre chose, mais l'histoire a retenu l'image de la belle éplorée. En ce temps là, la Guerre de cent ans faisait rage malgré une trêve. Drôle d'époque pour grandir... Charles n'est qu'en enfant, mais il est déjà l'un des chefs de la féodalité française. On le marie à quinze ans et l'union semble heureuse. A vingt et un an, le jeune homme prend du galon et mène les armées royales à Azincourt... L'affrontement tourne au désastre et le prince est fait prisonnier et conduit en Angleterre. Il y passera vingt-cinq ans. Un quart de siècle chez ses ennemis, loin de sa terre et des siens, de tous ceux qui l'aiment. Pour tromper l'ennui et par gout, il devient poète. Dès lors, la muse ne le quittera plus, pas même après son retour en France où il épousera en seconde noce la petite fille -bien plus jeune que lui- de l'assassin de son père et tentera d'entrer dans la partie du jeu d'échecs que disputent les grands de ce monde de puissants auquel il appartient par sa naissance avant de mourir de sa belle mort entre le Poitou et l'Anjou.
Sa vie fut un roman, un long chemin pavé d'obstacles, de rencontres, d'amour, d'amitié, de trahisons, de deuils et de poèmes et Hella S. Haasse en écrit magistralement l'histoire, dans une langue absolument magnifique. Son texte est un plaisir rare, exquis. Je me rappelle avoir relu parfois certains paragraphes plusieurs fois de suite, juste parce que c'était si beau que je voulais les savourer encore.
Non seulement, Haasse nous propose un excellent roman historique qui prend corps dans une époque passionnante et foisonnante dont elle sait rendre les nombreux méandres lumineux sans les simplifier ni les amoindrir, très documenté mais sans pédanterie aucune; un roman haletant qu'on peine à lâcher (durant toute ma lecture, j'ai été toute à la guerre de cent ans et j'ai dévoré ouvrages historiques et articles en pagaille, encore et encore pour nourrir mon obsession) ; mais en plus, elle dépasse cette dimension très romanesque pour proposer une très belle réflexion sur la solitude et la création poétique, sur la spiritualité et la condition humaine à travers le personnage de Charles d'Orléans qui, sous sa plume, n'est plus seulement ce poète un peu oublié et gentiment représenté dans les manuels scolaires mais un homme attachant, complexe, profond qui se fit poète parce que c'est ce qu'il était au fond de lui et parce qu'autour de lui, ils avaient tous trop soif de sang, d'or et de pouvoir... et qu'il était d'une autre trempe.
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