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Critique de 5Arabella


Marc Aurèle, empereur entre 161 et 180 de notre ère, est souvent appelé l'empereur philosophe. Il a en effet étudié et a été un adepte du stoïcisme. Les siècles nous ont transmis Les pensées écrites pour moi-même, appelées communément Les pensées de Marc Aurèle. Les textes qui les composent, écrits en grec, ont sans doute été rédigés entre 170 et 180, à la fin de la vie de l'auteur. C'est un texte très important dans notre compréhension du stoïcisme, car nous n'avons plus que quelques extraits et citations du stoïcisme grec, et les seuls ouvrages philosophiques stoïciens parvenus jusqu'à nous viennent de quelques auteurs latins plus tardifs, dont Marc Aurèle. Pierre Hadot, grand spécialiste de la philosophie antique, a longtemps étudié Les pensées, dont il a donné une nouvelle traduction, et La citadelle intérieure est nourrie de la connaissance approfondie et intime de l'oeuvre de l'empereur latin. L'ouvrage que nous avons entre les mains, bien plus qu'une introduction, est une somme, un traité approfondi, concernant à la fois l'oeuvre et la personne de Marc Aurèle, mais aussi le stoïcisme dans son ensemble. Car pour éclairer et expliquer Les pensées, Pierre Hadot replace l'ouvrage dans la pensée stoïcienne dans son ensemble, et fait tout particulièrement le lien avec Epictète, dont Marc Aurèle semble suivre en bonne partie la pensée, telle qu'elle nous est parvenue grâce aux notes prises par Arrien pendant certaines de ses leçons.

Pierre Hadot rappelle à quel point, la philosophie dans l'antiquité était avant tout un choix, une discipline de vie, et non pas prioritairement la production théorique de doctrines et systèmes. Il présente Les pensées avant tout comme des exercices philosophiques, spirituels. D'où leur côté désordonné, un certain nombre de répétitions aussi. C'est avant tout un travail sur lui-même que Marc Aurèle consigne dans ces pages. Mais c'est le résultat, le reflet, de sa pensée, de son exigence philosophique, et à partir de ces exercices intimes, on peut reconstituer une doctrine, mais une doctrine mise en action en quelque sorte.

Elle s'appuie sur une structure ternaire, dérivée de la division de la philosophie stoïcienne en trois parties : la logique qui concerne le jugement ; la physique qui s'occupe de la nature ; et l'éthique qui doit régler l'action humaine. La logique et la doctrine de la connaissance sont centrales dans cette pensée. Pour les stoïciens, l'âme reçoit d'une manière passive des représentations du monde extérieur. Ce qui égare la plupart des hommes, c'est qu'ils portent sur ces représentations un jugement qui déforme, qui attribue une valeur, qui donne une importance, qui ne sont pas dans l'objet lui-même. Par la discipline de l'assentiment, le philosophe stoïcien s'exerce à dépouiller les objets extérieurs des jugements qui verraient dans ces représentation autre chose que ce qu'elles sont. Ce qui lui permet de s'affranchir, d'affirmer sa liberté, de construire sa citadelle intérieure. de se centrer sur l'essentiel : le seul bien, c'est le bien moral. Il faut s'efforcer, autant que c'est possible, d'agir avec justice au service des autres hommes, d'accepter avec sérénité les événements qui ne dépendent pas de soi (considérés comme indifférents) et de penser avec rectitude et vérité.

La discipline du désir causé par des stimulants extérieurs et la discipline de l'impulsion vers l'action qui en résulte, dépendent du jugement que nous portons sur eux. Si nous donnons leur vraie valeur aux choses (discipline de l'assentiment) nous sommes à même de reprendre le contrôle. La raison humaine se trouve ainsi en accord profond avec la Raison universelle. le Destin mène le monde, et non pas le hasard, les atomes comme chez les épicuriens : accepter et être en accord avec ce Destin, aussi cruel et incompréhensible qu'il puisse nous paraître à certains moments est aussi une des tâches du philosophe. Accepter qu'un certain nombre de choses ne dépendent pas de nous et les considérer comme indifférents, ne devant pas nous affecter, permet de se mettre à l'unisson du Destin.

Le philosophe stoïcien n'est pas un sage parfait et infaillible, il est sujet à l'erreur, comme les autres hommes. Mais l'essentiel est de faire de son mieux, d'essayer toujours de progresser sur le chemin. D'où l'importance des exercices du philosophe, de ces exercices que sont les Pensées. Beaucoup de choses ont été écrites, supputées, sur Marc Aurèle. Pierre Hadot, en revenant au texte, en lui donnant sens, trace en filigrane le portrait d'un homme attachant, honnête, exigeant avec lui-même. Terriblement humain.

Un livre remarquable, à lire et à relire, tant il est riche.
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