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12 décembre 2011
« A tout moment, des êtres humains ont choisi d'emprunter tel chemin plutôt que tel autre, et ils ont lutté pour ces choix au cours de grands conflits sociaux. » (extrait de l'introduction)

Les bonnes intentions ne suffisent pas pour écrire un bon livre. Elles peuvent ouvrir des fausses portes et boucher, d'images/carcans, les fenêtres de l'imagination.

En règle générale je m'en tiens à « Donner envie de lire, susciter la curiosité et le désir de mieux cerner les réalités, en pointant des éventuelles difficultés ou les disputes souhaitables. » Je fais donc ici une exception.

Il y a beaucoup de livres intéressants, beaucoup d'autres inutiles. Certains, malgré leurs bonnes intentions, peuvent conduire les lecteurs sur de fausses pistes et masquer une vision erronée du monde. C'est le cas de cette « Histoire de l'humanité » de Chris Harman, qui se revendiquait de l'émancipation radicale..

Ses références sont autant de cartes de visite. Mais il ne suffit pas de se réclamer de Marx et d'Engels pour éviter les confusions conceptuelles. Pour faire le type d'histoire projetée, il est fondamental de rendre compte de toutes les luttes sociales et les contextualiser, c'est du moins ce que j'ai cru apprendre chez Marx. A chaque mode de production, une ou des « classes laborieuses » produisent le nécessaire et le surplus, sans oublier que les formes d'appropriation de ce surplus peuvent être extra économiques…

Personne ne peut se prétendre spécialiste de toutes les périodes. Il faut disposer d'un culture immense, d'un ego disproportionné pour penser pouvoir écrire seul une histoire populaire de l'humanité, de toute l'humanité.

Contrairement à l'auteur, je sais que je ne sais pas. Des pans entiers de cette improbable histoire des êtres humains me sont inconnus, d'autant que je ne lis que le français. A titre de profane curieux j'ai étudié partiellement certaines périodes dans certains pays ou régions, oublié probablement beaucoup de choses. Donc je ne ferais ici part que d'opinions sur ce que je comprends.

Écrire sur les périodes, sans trace d'écriture pose de multiples problèmes. Mais Chris Harman s'appuie principalement sur des travaux du XIXème siècle et sur les idées émises par Saint Marx et Saint Engels. Avant, des regroupements d'être humains égaux, puis avec l'apparition de surplus, les premières divisions en classe. La simplicité d'une réduction économiste du monde. Mais pourquoi s'arrêter en si bon chemin. Avant le communisme primitif, l'égalité entre homme et femme. Cette notion de communisme primitif, outre la mythification de ce que pouvaient être les relations entre les êtres humains, projette une ombre saugrenue sur le futur émancipateur.

Mais cela permet aussi une arnaque. Puisque l'oppression des femmes est issue de l'appropriation des surplus par les classes dominantes, il ne sera plus, à quelques exceptions près, nécessaire de parler des femmes. Exit les rapports de domination sexués, l'histoire devient sexuellement indifférenciée, une mâle histoire populaire.

Au coeur des explications, la lutte de classes, en tout lieu et en toute période, avec un arrière goût prononcé pour les classes moyennes qui semblent jouer les bouche-trou d'explication oiseuses et la réduction du prolétariat, lorsqu'il existera, aux ouvriers. Puisque la bible marxienne lui garantit la qualité de l'évangile/thora, l'auteur ne se pose pas de questions sur la projection dans le passé de catégories de la pensée moderne, sur la lecture du passé à l'aide d'outils d'analyse construits pour d'autres organisations sociales.

Passons dans d'autres dimensions.

Outre l'usage des noms actuels pour décrire des lieux, des pays dont les frontières ont évolué, des groupes avant qu'ils ne deviennent des « peuples », l'usage indifférencié des termes comme État, exploitation, travail, etc. tend à une naturalisation des conditions spécifiques et historiques ; et fait exister un fil conducteur d'un déterminisme mesquin. D'autant que l'auteur semble avoir une conception assez linéaire de l'histoire et des modes de productions.

Si Chris Harman n'oublie pas certaines grandes régions du monde, au moins à certaines périodes, le basculement dans le moyen-age semble faire de l'Europe le centre potentiel du monde. Avec les conditions de naissance du capitalisme (invention d'une nouvelle linéarité écrite à rebours, accordons à l'auteur qu'il partage ce travers avec beaucoup d'autres), la place de l'Europe dans le monde devient disproportionnée en regard de la place de sa population. La plupart du temps, il s'agit donc d'une histoire eurocentrée.

Pour des savants chinois, indiens, l'exposition des géographies et des temps seraient bien différents. le centrage du temps du monde sur celui de l'Europe accentue l'eurocentrisme. Et des groupes entiers de population n'ont pas le droit de cité dans cette somme défectueuse.

Dans bien des passages l'auteur ajoute à des descriptions sommaires des éléments plus précis. redresse des points déjà exposés, corrige des passages. En somme à boire pour ceux qui ont soif et à manger pour les gourmets, mais la table est mal desservie et globalement les plats mal accommodés.

Je fais grâce aux lectrices et aux lecteurs de certaines phrases qui m'ont fait hérisser les cheveux sur la tête…. (Pour les incrédules, je renvois à la page 574 et à la conformité, au projet capitaliste, de la mise en place des ghettos en Pologne dans les années 40)

Les méthodes employées par les Marx semblent avoir été oubliées : la recherche de la racine des choses pour Karl, l'humour désintégrateur de Groucho, sans oublier les poches sans fond du frisé Harpo.

A cette pas-si-populaire et amputée histoire, j'aurais préféré une présentation de quelques résistances, révoltes, révolutions à travers les âges et le monde, et des indications sur les contradictions sociales éventuelles, les contextes ou les événements plus contingents.
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