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Critique de thedoc


Dans ce 5e volume consacré au génocide rwandais, Jean Hatzfeld, journaliste et écrivain, revient 20 ans plus tard sur les lieux où il a recueilli les premières paroles des protagonistes, victimes et bourreaux.
Il s'intéresse cette fois-ci aux enfants de rescapés tutsis et génocidaires hutus. Certains sont nés pendant ou peu de temps après le génocide, d'autres étaient déjà là au moment des tueries. Comme dans ses précédents ouvrages, le journaliste nous propose des témoignages sans fard où l'on entend une langue particulière, marquée culturellement de l'ancienne présence belge et donnant des intonations à la fois désuètes et poétiques.

Au fil des paroles de ces enfants de père "soit coupé, soit puni", on découvre une jeunesse qui vit dans le souvenir d'un passé traumatisant pour les uns comme pour les autres. L'histoire de leurs parents, ils la découvrent par bribes à travers les réflexions des camarades d'école, ils la découvrent ensuite dans les cours d'Histoire. A l'heure d'Internet, les vidéos et articles font le reste...Mais parler de ces événements avec leurs parents reste le plus difficile. Compliquée chez les familles tutsies, la parole est quasiment impossible dans les familles de génocidaires où la honte et la culpabilité dominent.

Entre les jeunes aussi, le même silence dès qu'il s'agit d'aborder cette période. Alors que cette jeunesse aspire aux mêmes plaisirs et aux mêmes loisirs - la musique, le cinéma, Facebook, le foot... - elle s'impose une limite dès que les anciennes ethnies se font jour. Car même si les directives gouvernementales excluent désormais les mots hutu et tutsi du langage de la société rwandaise, même si les mentions ethniques ont disparu des formulaires, suffisamment de signes perdurent pour rappeler à chacun ce qui fut et ce qui reste dans les mémoires.
Ainsi, si les programmes scolaires accordent à juste titre de l'importance à l'histoire du génocide, ils utilisent le terme unique de "génocide tutsi" , expliquant ainsi qu'une ethnie a tenté d'en exterminer une autre. N'importe quel enfant en déduit ensuite quelle ethnie a levé la machette... Dans cette volonté de réconciliation voulue dès les premiers temps par Paul Kagame afin de reconstruire le pays au plus vite, un sentiment d'injustice et des rancoeurs demeurent et de nouvelles inégalités se font jour.
Enfant de tutsi, enfant d'hutu, tous ont vu leur vie bouleversée par cette "chose extraordinaire" qu'a été le génocide. Comment devenir soi dans un univers tellement singulier ? Comment faire la différence entre le père aimant et le génocidaire ? Comment grandir et se projeter dans l'avenir dans un pays rempli de fantômes ? le seul rempart commun à tous est semble-t-il la religion. Tous évoquent Dieu, le seul à même de vraiment pardonner et d'apaiser les tensions persistantes. Tous manifestent également un respect sans faille vis à vis de leurs parents, victimes ou bourreaux.

Enfin, ceux et celles qui ont un "papa de sang", ceux qui sont nés du chaos après que leur mère tutsi se soit faite violer (près de 20 000 enfants sont nés dans l'enfer des viols collectifs et répétés commis pendant le génocide) sont peut-être le symbole de ce fameux "miracle rwandais". Car le pays s'est reconstruit, au point de se présenter maintenant comme l'une des meilleures réussites économiques du continent, même s'il reste dépendant de l'aide internationale. Si le mot "réconciliation" demeure fragile, une cohabitation s'est instaurée et avec elle, l'espoir pour tous ces jeunes de voir briller leur avenir.

Immaculée, Fabiola, Idelphonse, Fabrice, Ange... Ils rêvent de devenir couturier, journaliste, artiste, agriculteur, danseur. Ils ne se voient pas quitter leur colline ou bien rêvent de partir à Kigali, voire en Italie.
Ce sont les jeunes rwandais d'aujourd'hui, simplement et uniquement. Et on leur souhaite tout le bonheur du monde.

Encore un ouvrage essentiel de Jean Hatzfeld qui nous offre un formidable tableau du Rwanda actuel au moment où l'on commémore les 25 ans du génocide.
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