J'ai un doux ami, nous nous parlons bien, nous nous promenons sans aller nulle part.
Nous ne descendons pas à Nyamata car c'est compliqué d'obtenir la permission.
J'attends d'avoir vingt ans pour commencer à désobéir.
"Quand un peuple s'est vu exterminé une fois, il ne se dit plus hors de danger. Des fauteurs ont rapporté de RIlima une méchanceté comparable à celle qu'ils emportaient à leurs entrée. Vigilance, n'écoutons pas ceux qui prétendent la page tournée. On ne compte pas les anciens tueurs qui feintent. L'humain ne se débarrasse jamais d'une existence animale passée."
Je savais que ce camp n'était pas un pays natal, je n'oubliais pas les collines, sans les regretter gravement. Si un enfant trouve un endroit pour manger et dormir en tranquillité, et jouer avec les camarades, son insouciance court plus vite que la nostalgie.
Partir loin pour oublier tout ça ? Est-ce que j'y pense ? Non, si on naît dans un pays, il faut supporter son passé. Toutefois, ici, la solitude me piège. Etre cultivateur, ça pousse à l'éloignement, être fils de prisonnier, ça pousse encore à plus d'éloignement. Je m'ennuie, je peine. Je trébuche et vois mon existence un peu gâchée. Au fond, je ne me réveille pas tranquille.
Quand un peuple s'est vu exterminé une fois, il ne se dit plus hors de danger. Des fauteurs ont rapporté de Rilima une méchanceté comparable à celles qu'ils emportaient à leur entrée. Vigilance, n'écoutons pas ceux qui prétendent la page tournée. On ne compte pas les anciens tueurs qui feintent. L'humain ne se débarrasse jamais d'une existence animale passée.
"Je crois que le génocide ne s'est jamais éloigné de mes oreilles d'enfant. J'ai toujours vécu avec ce brouhaha. Dès l'âge de cinq ans, peut-être avant, je savais que des gens avaient été malmenés dans une terribles situation. Mais c'était des paroles qui volaient sans se poser. Si des connaissances de passage en causaient, si les parents l'évoquaient, je les voyait très bousculés. C'était tremblant, je m'éloignais. Ces paroles effrayaient trop pour que je tente de les imaginer. Elle me repoussaient. Je refusais d'écouter en cachette comme on aime écouter les intimités de ses parents."
Aller sur le chemin de l'école, ce pouvait être inquiétant.
C'était honteux de se montrer un peu près pour un petit enfant de prisonnier (...)
On esquivait des cailloux en même temps que des insultes.
La danse me régale plus que tout.
J'adore danser au milieu d'amis.
Je m'oublie jusqu'au rire.
Mais je n'ai jamais passé mes vacances chez les parents de mes parents. Ils ont été coupés à la machette, tous, ils me manquent considérablement. C'est souvent que je pleure leur disparition car ils ne sont pas là pour m'épauler. Je sais mon enfance un peu gâchée par leur absence. Oui, ça me bouscule bien que je ne les aie pas connus.
Je ne sais combien de générations s'useront avant que des jeunes tutsis et hutus puissent rire en amitié sincère. Je veux dire, sans crainte d'une gêne soudaine.