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Critique de CDemassieux




Depuis la fin du XIXe siècle, la légende noire de Gilles de Rais excite les passions. Pire, et malgré les faits exposés ici par un historien médiéviste ne se laissant pas dicter sa conduite par lesdites passions, il se trouve encore des défenseurs de ce maréchal de France pour affirmer qu'il est innocent des crimes nombreux et particulièrement sordides qu'on lui impute. Ce, malgré une quantité de preuves irréfutables. Quant à accuser l'Église d'une énième injustice, voici ce qu'en dit Jacques Heers : « La cour ecclésiastique qui siégea à Nantes n'était pas un tribunal de l'Inquisition mais celui de l'évêque. Surtout, il n'y eut pas un, mais deux procès, et c'est par la cour “civileˮ, présidée par le président du Parlement de Bretagne, que Gilles de Rais fut condamné à mort. »

Mais qui fut ce Gilles de Rais ? Certes de noble lignage mais pas issu d'une famille exagérément puissante, il évolue en pleine guerre de Cent Ans, oscillant entre tel ou tel parti selon ses intérêts. Puis il y a sa rencontre avec La Trémoille et Jeanne d'Arc, et le siège d'Orléans par les Anglais. Mais contrairement à une autre légende, Gille de Rais, qui participa bien à la libération de la ville, n'aurait pas été aussi lié à Jeanne d'Arc que d'aucuns le prétendent. D'autant qu'à ce moment, Gille de Rais est au service de la Trémoille, qui ne cachait pas son animosité à l'égard de Jeanne. D'ailleurs Gille de Rais l'abandonnera à son sort lors du siège de Paris.

Donc, après un éphémère succès auprès du roi Charles VII, Gilles de Rais « doit, contraint et forcé par manque d'emploi et de crédit, abandonner le métier des armes au service du roi. Ce renoncement, ou plutôt cette mise à l'écart, s'accompagnait d'une véritable déchéance politique et sociale ».

Cependant, à force de dépenses lors de fêtes et célébrations, visant à le faire à nouveau entrer dans les bonnes grâces du pouvoir, de dispenser ses bienfaits notamment à des religieux, le voilà « accablé de dettes, à demi-ruiné ». Sans compter que, plus que tout, « la guerre l'avait obligé à dépenser énormément pour lever et entretenir ses troupes, certainement sans contrepartie notable ». Sachant qu'il ne fut jamais aussi riche qu'on le prétendit. Il dut alors vendre beaucoup de ses biens, au grand dam de ses héritiers tout en risquant d'ébranler l'équilibre fragile de la région en redistribuant ainsi ses possessions.

C'est alors qu'il se laisse berner par des individus qui l'initient à des pratiques occultes. Toutefois, cela ne le dédouane en rien de ses crimes particulièrement abjects sur de jeunes garçons : « Ses crimes sont réfléchis, préparés. […] Cruautés gratuites, sadisme et raffinements prolongeaient les supplices. Tous les complices et serviteurs insistent sur ces monstrueuses délectations, sur son plaisir à voir couler le sang et assister aux agonies des jeunes corps. »

Aussi son procès, nonobstant les protestations de certains, n'eut rien de « stalinien ». Et Gilles de Rais s'évita la torture en avouant tout. Certes, c'est à cause de l'agression d'un homme d'Église en pleine célébration que les autorités se penchèrent sur son cas, tandis que les rumeurs de ses meurtres se faisaient de plus en plus insistantes, mais sa condamnation à mort ne releva pas d'une injustice infligée à un innocent. Privilège de la noblesse, son corps fut inhumé dans une sépulture.

Par son ouvrage, Jacques Heers fait oeuvre d'historien et non d'accusateur ou de défenseur d'une cause. Ce qui, à une époque où l'Histoire est trop souvent étudiée par le seul prisme idéologique, fait du bien !

[Petit reproche : il eût été plus respectueux pour le lecteur contemporain de traduire les nombreuses citations en moyen français.]
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