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Critique de horline


Il en va ainsi de certains livres : on sait dés la première page qu'on ira jusqu'au bout. Il y a certes l'écriture magnétique de l'auteure américaine qui retient l'attention, une plume souveraine alliant le prosaïque et le mystique.
Mais il y a surtout ce huis-clos qui voit son espace se réduire encore et encore au fil des pages avec une étrangeté inquiétante mais aussi paradoxalement avec une sérénité libératrice. Probablement une vertu régénératrice de l'effondrement de la société, on ne peut que se réinventer, transcender ses peurs et ses limites, faire appel à des ressources insoupçonnées pour maintenir sa vie debout.
C'est ce que j'ai aimé dans Dans la forêt, roman qui met en scène des personnages appartenant à un monde en voie de disparition, dévasté pour des raisons vaguement évoquées mais les Dieux n'y sont pour rien. Seul l'homme en est l'artisan. On peut ressentir un léger frisson dans le dos parce que le monde en question est le nôtre, et on devine des problématiques très contemporaines.
Dans ce roman, on observe deux jeunes soeurs qui mènent leur existence au coeur de la forêt nord-californienne, à distance du bruit et des rumeurs les plus folles. Installées à plus de cinquante kilomètres de la ville, elles ont su s'adapter aux restrictions les plus diverses_comme les coupures d'électricité_leurs parents leur ayant donné une éducation en marge de la société de consommation. Portées par leurs rêves de carrière, elles laissent le sentiment dans un premier temps de vivre dans un monde provisoire en s'accrochant aux vestiges de la société d'avant, mais progressivement les repères traditionnels disparaissent et les dangers guettent.

Comment devenir adulte dans un monde devenu chaotique et sauvage qui a balayé le passé d'un revers de la main et qui ne donne guère de raison d'espérer ? S'il y a les renoncements auxquels elles finissent par se résoudre, les défaites qui les révèlent à elles-mêmes, il y a également d'étonnants sursauts qui confèrent à cette fratrie une résistance qu'elle n'aurait jamais pu envisager dans des conditions de vie ordinaires. Jean Hegland a créé un binôme puissant dont la force provient de ce qu'elles partagent ensemble, condition nécessaire à leur survie. Il en ressort un fort sentiment de solitude qui est à la fois la protection et le désarroi de ce duo aux pulsions obscures et laisse le sentiment d'avoir sous les yeux les reliques d'un monde en ruine. Mais loin de la pesanteur anxiogène et asphyxiante que l'on trouve fréquemment dans ces romans post-apocalyptiques, Jean Hegland a su donner à cette fiction des lueurs denses et fragiles, sensuelles et envoûtantes, à l'image de ses héroïnes, des lueurs qui exaltent l'âpre beauté des liens du sang.
Et la nature primitive, salvatrice, cette forêt mystérieuse et insondable symbole d'immutabilité du temps, source de rédemption alors qu'au début elle n'était sinon hostile en tout cas guère accueillante selon les mises en garde de la mère des jeunes filles.
C'est assurément un beau roman intimiste qui frappe par sa force méditative, il nous renvoie à notre propre vulnérabilité et la fragilité de nos sociétés trop dépendantes.
Belle découverte.
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