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Critique de berni_29


La nuit dernière, j'ai refermé la porte d'une forêt, j'ai laissé derrière moi l'écho des oiseaux, l'odeur des feuilles d'arbousiers, le frémissement des étoiles au-dessus de moi, et puis aussi deux femmes restées là-bas, deux jeunes soeurs unies pour le meilleur et pour le pire, Eva et Nell.
Il n'y a rien de plus déchirant que de s'éloigner d'un endroit qu'on a tant aimé, et les personnes aussi qui furent présentes à ce moment et à cet endroit. Mais il faut partir, tourner la page, revenir à d'autres vies. Ainsi j'ai refermé ce livre avec beaucoup de déchirement et en même temps le bonheur précieux d'avoir vécu un moment unique et d'emporter cela avec moi, comme un bagage dans mes errances futures.
Dans la forêt, merveilleux roman écrit par une auteure américaine que j'ai découvert par la même occasion, Jean Hegland, est un livre qui ne ressemble à rien de ce que j'ai lu jusqu'à présent. Il est publié aux Éditions Gallmeister, ce qui est déjà pour moi une très belle référence car j'adore leurs publications. Je ne sais pas si cela en fait un chef d’œuvre, cela en tous cas en fait un véritable coup de cœur qui continue de résonner en moi comme une vague entre les branches.
Je veux vous dire ici tout le bien que j'ai ressenti à cette lecture, le bien qui continue de vibrer au moment où je vous écris. Je sens mes doigts trembler, trépigner sur le clavier de mon ordinateur. Je voudrais revenir à cette forêt, pourtant je sais qu'elle est déjà loin et par expérience je sais aussi qu'il n'est jamais bon de revenir sur ses pas. Je retiens de cette forêt deux impressions, quelque chose qui sait accueillir et quelque chose dont il faut s'inquiéter à chaque instant, à chaque pas où on avance au plus profond d'elle. Mais n'est-ce pas cela qui ressemble à la vie, à nos vies, à ce qu'elles nous réservent d'exaltant et d'hostile à la fois?
Dans la forêt, c'est un univers qui vient après un drame écologique, peut-être planétaire. Nous ne savons rien de la cause de cela et ce n'est pas essentiel. Je dirai même que c'est bien de ne rien savoir. Mais cela va toucher totalement le quotidien des personnages du livre et tout d'abord cette famille, qui, du reste, avait déjà décidé de se retirer du bruit de la ville, dans une maison en pleine forêt.
Dans ce roman, nous découvrons deux êtres, deux sœurs dans une relation complexe, fusionnelle, charnelle, parfois où elles ne peuvent plus s'entendre, où elles vont et viennent, s'éloignent, reviennent. Tous les codes habituels de leur relation sont ici transgressés. Elles vont devoir cohabiter au-delà du cadre commun d'une fratrie, au-delà de ce cadre où elles pensaient jusqu'ici se connaître.
Dans la forêt, je me suis perdu dans ses pages, dans ses feuillages, dans ses ramures. J'ai lu ce livre comme un temps suspendu aux branches de cette forêt.
Les forêts sont peuplées d'ennemis. Il faut les apprivoiser. Au fur et à mesure qu'on avance dans cette forêt, les ennemis qu'on croyait connaître, deviennent parfois des territoires à convaincre par nos gestes, nos pas.
Les forêts sont peuplées de sortilèges. Parfois dans le frémissement des pages que je lisais, j'ai cru rencontrer autre chose qu'un livre, il y avait bien sûr le récit de Nell, la narratrice, mais j'entendais aussi le bruit de la forêt autour d'elle et ce qu'elle imaginait, ce qu'elle convoquait dans ce récit et qui prenait réalité dans le journal qu'elle écrivait.
Dans la forêt, il faut avancer les bras tendus comme les ailes d'un oiseau et combattre en même temps les peurs enfouies là-bas au plus profond de nos clairières, réveiller l'impatience des chairs. C'est un livre qui réveille les corps qui sommeillent, allume des rires gorgés de ciels.
Elles ne sont plus que deux là-bas, elles s'aiment. C'est une forêt qui, tantôt les protège, bat comme un cœur aimant, tantôt les effraie, l'endroit d'où peut surgir à chaque instant des ombres malveillantes.
L'écriture de ce livre est ronde, sensuelle, à la fois légère et luxuriante.
Peu à peu, la narratrice apprend comme nous le secret des feuilles, ce que la forêt peut lui révéler, reconnaitre un sumac vénéneux, distinguer un sapin d'un séquoia, savoir nommer une fleur, un buisson, une mauvaise herbe, apprendre d'eux comment ils peuvent nourrir, guérir, ou nous empoisonner.
Ce livre est comme un guide de survie en milieu hostile, c'est-à-dire un monde où tous les repères habituels s'effacent, le carburant pour se déplacer, l'électricité, Internet... Tout s'efface. Les seuls repères demeurent une bibliothèque, une bibliothèque avec de vrais livres. Certains livres deviennent indispensables aux yeux de Nell : une encyclopédie, un ouvrage sur les plantes indigènes en Californie du Nord... Pendant tout ce temps-là, Eva danse, continue de danser. C'est important pour elle, pour sa sœur aussi. Plus tard lorsqu'il n'y a plus d'électricité, Eva continue de danser et ses gestes deviennent magiques car elle invente la musique autour d'elle, de ses bras, de ses gestes...
Il y a les saisons, il faut désormais apprendre à vivre avec elles, comme si ce livre nous amenait à l'essentiel, ce que nous avons peut-être perdu. Il y a un temps où le soleil est là, entre les branches, et puis il y a le temps d'hibernation.
Peu à peu, la maison où sont recluses les deux sœurs devient un naufrage, comme un bateau en perdition dans une mer inconnue.
Mais peu à peu aussi, elles prennent conscience que cette forêt est devenue la vie, leur vie, peut-être aussi une fraction de notre vie, le temps de cette lecture et le temps d'après.
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