Les enfants jouaient ensemble près des tambours, des djembés et des balafons et lorsque les danseurs dans arrivèrent sur leurs échasses, je me souviens, cette fois encore d'avoir eu peur. Je trouvais leurs masques monstrueux, leurs acrobaties terrifiantes et leurs cris inhumains. Oui, c'était proprement terrifiant, et pourtant nous restions là car ces visages de bois, ces gestes et la violence de ces mouvements nous renvoyaient à une gamme de sentiments grimaçants que nous partagions depuis longtemps. Tout cela était au contraire très humain. Nous comprenions ces danses car elles étaient déjà en nous. Tout était là. Elles avaient été inscrites. Elles représentaient à elles seules le spectacle complexe, universel et ravageur de notre espèce. Nous les avions perçues comme un héritage et elles nous rappelaient à travers les forces sensuelles et mémorielles de l'art nos vies, nos amours, nos guerres, nos peurs et nos peurs originelles.
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L'Afrique, c'était aussi le lieu du bouleversement de l'esprit et celui de l'apprentissage de nouvelles sensations. Le dégoût, la peur et la violence, par exemple, prenaient ici d'autres formes. Ils étaient moins insidieux, policés et finalement beaucoup plus enthousiasmant qu'en Europe. Ils venaient des éléments et de la nature, du ciel, de corps et de la terre.
Ici, l'horizon de ma vie s'en était trouvé élargi. Mieux, ce pays m'en ouvrait d'autres. Des neufs, des adjuvants et des salubres. Il me donnait le goût de l'ailleurs - ce concept taillé, certes, comme un costume trop grand mais dans les poches duquel s'emportent deux malles cabine - et ce sentiment très complexe, fascinant, doux-amer, d'être toujours un étranger chez soi.