La plupart de ces bicoques étaient des resserres à l'usage des commerçant du marché aux puces. Elles contenaient les épaves de bonheurs perdus, d'espoirs évanouis. De vieux meubles, des vases fêlés, des bronzes prétentieux et ridicules, émouvants de médiocrité.
- Plus tard ! toujours plus tard ! protesta le voleur. Tout le monde nous sort la même chansonnette. Plus tard t'auras du pognon, plus tard t'auras une bagnole, plus tard t'auras de belles filles. Ouais ! quand on n'aura plus de réflexes pour conduire, plus de dents pour bouffer et plus de forces pour faire l'amour. En attendant tout ça, ce sont les autres qui se le tapent !
- De plus, vous travaillez. Vous êtes...attendez...vous êtes apprenti menuisier, je crois ?
- Je l'étais. Mon patron m'a foutu à la porte. Il a dit qu'il m'avait assez vu.
- Pourquoi ?
- Parce qu'il ne me voyait jamais.
La rue se terminait au 24 sur un terrain vague plein de hauts arbres qui ne tarderaient malheureusement pas à devenir la proie des bâtisseurs. Peu à peu les futaies des villages d'Auteuil et de Passy cédaient la place au béton armé.
Il n'y a pas de quoi rire ! dit-il sèchement.Vous savez ce que vous risquez ? Vous risquez d'être enfermé jusqu'à votre majorité et, même à ce moment-là, vos épreuves ne seront pas terminées. Vous ferez votre période aux Bataillons d'Afrique. Et je vous prie de croire que les régiments de Joyeux n'ont aucun rapport avec le petit bar du coin.
Le surveillant feuilleta les permis d'un doigt distrait, puis se tourna en souriant vers l'avocat.
- Le condamné à mort, hein ?
- Oui, répondit Valentin, celui-là, je l'ai manqué. Il est vrai qu'avec ce qu'il avait fait...
- C'était plutôt difficile, en effet.
Il s'agissait d'un abominable bonhomme d'une cinquantaine d'années qui, lorsqu'il était libre, passait le plus clair de son temps à violer des jeunes filles. Une première condamnation ne l'avait pas guéri. On le soupçonnait d'autres agressions qu'il n'avait jamais avouées, mais la dernière fois il ne s'était pas contenté de violer, il avait tué la gamine et il l'avait éventrée, d'un coup de couteau.
Valentin haussa les épaules.
- C'est un malade, dit-il. On l'a reconnu responsable, mais dans ce cas, s'il est normal c'est que nous, nous sommes cinglés.
Vieux cheval de combat, il marchait à pas lents vers la retraite proche. L'an prochain, il cultiverait ses fleurs, dans le jardin de sa petite maison, au bord de l'Yonne, les après-midi d'hiver il irait faire sa belote dans le bistrot familier et, comme on passe toujours sa vie à attendre quelque chose, après avoir espéré la retraite , il attendrait la mort.
- Qu'est-ce que vous allez faire ? demanda Roberte, inquiète.
- Je vais vendre des journaux, dit Milo. On me donnera une belle casquette et je crierai : Huitième dernière ! Hold up monstre à Courbevoie ! Il parait qu'on peut se faire quinze cents à deux mille balles par jour, vous savez ? Et je pourrai dire aux flics que je les emmerde !
FIN
François Cezelly de Leucate referma la porte derrière lui et ressentit, une fois de plus cette bizarre impression d'intimité qu'il éprouvait chaque fois qu'il venait au Shocking.
Lequel n'avait rien de choquant, du moins en apparence. C'était une boîte banale, aux confins d'Auteuil, à l'orée du boulevard Montmorency. Avec ses murs tapissés de velours rouge et ses tapis épais, elle ressemblait à une bonbonnière.