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Critique de moustafette


Prague, printemps 1969, Ivana trône à l'accueil d'un grand café sur la rive de la Vlata. La quarantaine austère, elle observe d'un oeil implacable son personnel. Tomas, le fidèle chef de salle, Heinrich l'Autrichien, élégant, rêveur et pianiste d'ambiance de l'établissement, les serveuses, et notamment Anna, jeune Slovaque d'à peine vingt ans qui danse entre les tables sourire aux lèvres et plateau à bout de bras. de son poste, Ivana assiste à la naissance d'un amour impossible, fulgurant, entre Anna et un client, l'étudiant Pavel qui jour après jour va savoir la conquérir. Une passion chaotique va s'en suivre dans une Prague encore groggy par la gueule de bois soviétique qui lui a définitivement ravi son printemps de liberté en Août 68.

"Peut-être qu'alors on ne pouvait tomber amoureux, à Prague, que dans l'interdit ou le grotesque."

Si d'emblée on pourrait percevoir Ivana telle un cerbère à la solde du régime - on sait que faits et gestes de ce jeune couple d'amants sont enregistrés sans concession par son regard froid ou recueillis grâce à l'aide du trouble Tomas - on comprend vite que derrière tout cela se cache autre chose. Les blessures et silences intimes des divers protagonistes ont tous à voir avec la situation politique du pays et nous sont distillés peu à peu avec toute la retenue des êtres meurtris.

Prague la secrète, la mystérieuse, protège de son brouillard les amours clandestines des révoltés, étouffe les cris des espoirs déçus et les regrets muets de ses habitants lâchés par les Occidentaux. Et si l'été donne une faible illusion de légèreté, la chape de plomb est bien trop lourde pour se faire oublier et ne laisse s'échapper que la nostalgie de ce qui a failli advenir.

A la violence politique se mêle celle des sentiments fougueux, à la triste atmosphère accablant la ville se mélange celle confinée, un brin surannée de ce café où, comme derrière une vitrine ou une scène de théâtre, on suit la duplicité des personnages et on assiste à la collusion tragique de la petite et de la grande Histoire.

On chemine dans cette histoire à pas feutrés, soucieux de ne pas déranger, presqu'honteux de toutes nos libertés chèrement gaspillées. Une fragile sensualité accompagne le lecteur dans la mélancolie de tous ces rendez-vous manqués et on savoure la pudeur empreinte de dignité qui habille les acteurs figés dans le glacis de la dictature. Un émouvant retournement final et du très beau travail d'équilibriste sur un fil tendu entre deux révolutions. En dessous, un vide de vingt ans se réfléchissant dans un miroir et dans lequel se sont engouffrés le temps de la jeunesse et les regrets.

Les idylles amoureuses ne sont pas ma tasse de thé, mais le contexte historique de ce livre m'attirait et lui confère une profondeur particulière. Sa construction habile en complète le charme. Un court roman intense à ne pas rater !


Lien : http://moustafette.canalblog..
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