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Critique de SZRAMOWO


Zbigniew Herbert écrit et dessine. Ce poète doublé d'un chroniqueur, a toujours éprouvé une passion irrépressible pour l'antiquité grecque et latine.
Il propose dans ces sept textes, (écrits entre 1965 et 1973, sauf le dernier en 2000), sa vision de l'histoire antique et soulève, sans y répondre, des questions que nous nous sommes mille fois posées : notre regard équivaut-il au regard des anciens, et la paysage qu'ils voyaient est-il celui que nous voyons aujourd'hui ?
Le premier voyage de Herbert, intitulé «Le labyrinthe du bord de mer», commence dans le port du Pirée. Il attend le bateau qui doit le mener en Crète au milieu d'une foule bigarrée, agitée et criarde qui le déroute :
«Ce ne sont pas les visages que l'on connait par les vases antiques, ni les corps des statues de Praxitèle.»
Au musée d'Heraklion il se surprend à comparer peinture minoenne et peinture égyptienne :
«Dans la peinture crétoise, il y a moins de force et d'élévation la contemplation philosophique tout comme l'extase religieuses lui sont étrangères. Elle évoque le rococo léger et insouciant.»
Il touche du doigt la désinvolture supposée de la nation grecque pour autant, suggère-t-il, que ce concept soit opérant, tant : «....les nations ont mieux à faire que de ressembler à l'idéal imaginé par des humanistes romantiques.»
A Cnossos :
«Au contact des oeuvres du passé, nous voulons être sûrs de leur authenticité(...) Nous souhaitons seuls, sans intermédiaire, jeter un pont par-dessus l'abîme du temps entre nous et les hommes et les dieux d'il y a plusieurs millénaires.»
Finalement il découvre la Crète, sans parvenir à définir si elle est véritable ou éternelle, en dehors d'Héraklion et de Cnossos, en parcourant l'île «...dans des autobus toujours pleins, les mélodies populaires sonnaient rugueuses des haut-parleurs qui grésillaient comme des petits cailloux.»
Dans le deuxième voyage, de Brindisi au Pirée via le golfe de Corinthe, «Essai de description du paysage grec», il renonce à trouver l'âme grecque dans les musées d'art, et s'émerveille depuis le pont du bateau :
«Mais dès le matin, lorsque les premières îles commencèrent à apparaître à l'horizon, puis le rivage découpé du Péloponnèse et enfin la baie de Corinthe, je compris qu'il m'était donné de découvrir quelque chose qui ne pouvait être comparé à rien d'autre.»
Une fois à terre, il parcourt la campagne grecque :
«le paysage grec me parla alors avec la voix pathétique du mythe et de la tragédie(...)La présence insistante de la terre nue, des masses rocheuses très sculptée et renforcées par la rareté du manteau végétal.»
«Celui qui viendrait ici avec la palette de couleurs d'un paysagiste italien devrait abandonner toutes les couleurs suaves.»
A la fin de son essai, il conclut :
«Je suis conscient que ce que j'ai écrit ne correspond pas à mon titre (...) Une forte intuition me dit seulement que le temple, la sculpture et le mythe grec sortent organiquement de la terre, de la mer et des montagnes.»
le troisième essai «Petite âme» prend prétexte d'une lettre de Sigmund Freud à Romain Rolland, ou le psychanalyste rend compte d'un voyage fortuit à Athènes alors qu'ils projetaient son frère et lui de se rendre à Corfou :
« Lorsqu'ensuite l'après-midi de notre arrivée je me retrouvais sur l'Acropole et que mon regard embrassa le paysage, il me vint subitement la pensée singulière : ainsi donc tout cela existe effectivement comme nous l'avons appris à l'école.»
Herbert décrit ensuite ce qu'a dû ressentir Freud et que ressentent, parfois sans vouloir se l'avouer, des millions de touristes familiers de vues de l'Acropole anciennes, ou de clichés panoramiques réalisés par des photographes professionnels, avec des grands angles ou des filtres de couleur, à des saisons où le touriste lambda ne se rendra jamais à l'Acropole...Sur ces vues, pas de voitures ni d'autocars bondés, pas de files d'attente interminables, pas de soleil mordant, pas d'enfants qui réclament des glaces ou de l'ombre....
Notre perception virtuelle de l'Acropole est confrontée à la vision réelle que nous en avons au moment où ne le voyons, et les critiques fusent alors, de vive voix ou simplement en pensées, je voyais ça plus grand, c'est tout petit, c'est très haut, c'est à moitié en ruine etc...
Pour Herbert : «C'est précisément cette confusion du regard et de la connaissance qui crée des impressions contradictoires et trouble la perception de la réalité.»

La conclusion de l'essai résonne étrangement dans notre actualité de 2015 :

«les pauvres utopistes, les débutants de l'histoire, les incendiaires de musées, les liquidateurs du passé ont pareil à ces insensés qui détruisent les oeuvres d'art car ils ne peuvent leur pardonner leur calme, leur dignité et leur froid positionnement.»

Viennent ensuite quatre essais, «l'Acropole» «Samos» «Les Etrusques» «La leçon de latin».

Livre didactiques, «le labyrinthe de la mer», est plus qu'un guide touristique, mieux qu'un guide touristique. Il interroge le voyageur potentiel sur la raison de sa présence dans le pays, sur ce qu'il y recherche et sur ce qu'il s'attend à y trouver.
Vision réaliste de l'ambiguité du voyageur qui nie la réalité du pays qu'il visite préférant son passé à son présent, contestant les traces de l'histoire dès lors qu'elles ne satisfont pas à la réalité qu'il recherche.
Ce livre interroge sur ce que les voyageurs avertis appellent l'authenticité. Qui aujourd'hui peut s'arroger le droit de décider de ce qui est authentique ou pas ?

Lien : http://desecrits.blog.lemond..
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