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Critique de jeff2u12


La croisade de Lee Gordon a été écrit et publié en 1947, traduit en français en 1952. C'est le second livre de Chester Himes après S'il braille, lâche le et le moins qu'on puisse dire, c'est que, si à ce stade de sa carrière littéraire, il se cherche encore en partie, par contre, pour ce qui est du contenu, ça foisonne d'idées et de thèmes : les communistes américains, les syndicats et leur rapport avec les premiers, la situation des noirs dans un monde dirigé par des blancs, le rapport qu'un male noir peut entretenir avec sa femme noire et le fantasme de la femme blanche, tout cela bien sûr abordé à travers l'histoire et la vision du personnage central Lee Gordon.
Comme dans S'il braille, la plupart des événements rapportés ici sont de nature autobiographique, à tel point que sa femme Jean, en lisant le roman, fera une dépression en se reconnaissant de manière trop explicite dans Ruth, l'épouse légitime noire de Lee Gordon. Elle ne sera pas la seule avec qui Chester se fâchera suite à ce roman, en fait à peu près toutes les catégories citées précédemment : il faut dire que l'image que donne Chester des associations, partis politiques et même simplement communautés est fidèle à son individualisme forcené. Pour lui, tous ces gens qui s'agitent pour changer la société sont prêts à sacrifier l'individu à la cause commune et surtout à instrumentaliser les souffrances des minorités noires pour gagner des adhérents, des élections et autres sujets de prédilections des meetings révolutionnaires.
Mais tout cela est factuel, et l'essentiel est ailleurs : les tourments existentiels de l'homme noir obsédé par la possession et même l'humiliation de la femme blanche, comme une forme de revanche mais en même temps d'incapacité – symptomatique de l'incapacité de toute la communauté noire - à surmonter un complexe d'infériorité que la société américaine de l'époque crée et valide. le noir, victime évidente du racisme de l'époque, y compris dans les milieux ouvriers, est en même temps acteur de son infériorité par sa propre attitude : autant dire que ce message passera mal auprès de la communauté noire, de même que la misogynie outrageuse de Chester Himes (il dit dans ses mémoires « La seule façon de faire entendre raison à une Blanche, ou à n'importe quelle femme d'ailleurs, c'est de la cogner »).
Comment sortir de ce cercle vicieux, Chester ne donne pas vraiment de réponse dans ce roman (le final en faveur de l'action syndicale et politique m'a paru assez peu crédible), mais sa propre vie et son départ pour aller vivre en Europe quelques années plus tard sera, à mon sens, la réponse claire d'un individualiste : changer de société plutôt que de changer la société – ce qui ne signifie pas pour autant qu'on laisse ses problèmes sur place…
Au final, un livre complexe et passionnant – dont je livre mon interprétation personnelle, confuse et discutable certainement – mais un livre qui me confirme dans l'idée que Chester Himes est un auteur d'une grande originalité et bien supérieur à que ce que sa production de romans policiers chez Gallimard à partir de la fin des années 50 pourrait laisser penser.
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