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Critique de pwillemarck


Un regard bleu, Lenka HORÑÁKOVÁ-CIVADE

Ce livre est brillant. Dans sa critique dans le Monde, Nicolas Weill pose une question qui m'a décidé à lire et offrir ce livre : « Qu'est-ce que l'Europe centrale et orientale, cet « occident kidnappé », selon la formule de Milan Kundera, a à transmettre, pourvu que comme le Rembrandt du roman, nous fassions l'effort de l'entendre? »

Ce roman évoque aussi le lent et difficile progrès de l'humanité en chacun de nous, le langage symbolique, la puissance de l'éducation, la force de l'art, l'idée d'une société des savoirs partagés, le poids des mots et le choc des images, pour reprendre un vieux slogan de Paris-Match, la psychologie du développement avant l'heure et surtout l'amélioration de l'homme et de l'entente (entendre et s'entendre), un travail qu'il faut sans cesse remettre sur le métier. Enfin, le libre-examen apparaît en filigranes quand Comenius, ancien évêque réformiste de Moravie, assure que « c'est dans l'examen constant de nos savoirs que réside l'enrichissement perpétuel de ceux-ci. »

Pour résumer ce roman allégorique, écrit en français par une Tchèque, je partirai des deux tableaux de Rembrandt, ci-dessous. Celui qui est à l'origine de ce livre et celui qui le clôt et qui est aussi le dernier de l'artiste. le premier n'est pas signé, mais est indiscutablement attribué à Rembrandt. le dernier ne l'est pas non plus, il est inachevé. C'est à la Galerie des Offices à Florence que l'auteure croise le regard bleu du vieillard qui est le sujet du premier. Il s'appelle Comenius, philosophe et pédagogue tchèque. Il ne vous dit rien ? Moi non plus, mais l'auteure le connaît comme tous les tchèques. Près de la moitié de leurs écoles portent son nom.

L'idée de son roman naît à Florence quand elle le découvre. Elle décide de raconter pourquoi ce tableau n'est pas signé et ce que ses deux hommes ont pu se dire pendant leurs longues séances de pose. Rembrandt, homme de l'image et Comenius, l'homme des mots. le clair-obscur en chair et en os.

L'auteure nous invite à Amsterdam quand Comenius, exilé de Moravie, y arrive et que Rembrandt voit sa maison vidée par les huissiers. Leurs regards se croisent. Ils se reverront. le cheminement de concert commence, les deux repartent de presque rien dans un monde où « la beauté de l'imparfait incarne la poésie». Ils ne manquent ni d'imagination, ni de créativité, ni d'histoires de vie, ils cherchent tous deux la lumière parce que « Rien n'y fait, la lumière se moque des jugements ». Ils ne partagent pas les mêmes points de vue ni les mêmes outils. L'un est humble, l'autre orgueilleux. Si tous deux veulent éveiller des sens, l'écrivain et l'artiste, ils ne font pas vibrer les mêmes cordes sensibles. Mais il y a de l'Ulysse en chacun d'eux. Et un immense respect mutuel s'installe dans l'ouverture à leur différences.

L'auteure tisse avec brio la trame d'un dialogue qui s'étend de 1656 à 1669 au gré de leurs rencontres. Subtilement elle laisse la parole aux pensées de l'un et de l'autre comme aux confrontations. L'un habite Amsterdam et n'en bougera pas, l'autre est un exilé. L'un aspire à la beauté, l'autre, victime de la guerre de Trente Ans, cherche la paix et rêve d'Europe après avoir discuté avec Jan Althusius et son idée de «défendre en commun le droit d'être divers. » Il veut donner aux enfants, les outils pour améliorer l'homme. Après tout, « Bâtir une école ne doit pas coûter plus cher que de construire un bateau de guerre ou un palais princier,(...) dans lequel on ne trouve pas de vie ». Comenius est inspiré par le langage symbolique sans le nommer. « C'est grâce à la mère que le monde devient possible et praticable pour l'enfant. À la faveur de cette langue première et amoureuse, le monde devient compréhensible. » Les psychothéraputes du développement se réjouiront de découvrir ce pionnier. Richelieu l'a entendu et marqué son intérêt, les guerres en ont décidé autrement.. Avec ses amis londoniens, John Durby, John et Samuel Hartlib, il jettera les bases de son rêve pansophique et de ce qui deviendra en 1660 la Royal Society of Science.

L'auteure ne dit pas tout. Elle nous invite à suivre le débat qui s'instaure et nous pouvons y participer. Parce que le débat a encore et toujours lieu entre l'utopiste et le réaliste, entre le savant et l'artiste, entre le maître et le pédagogue.
-« Serais-tu l'un de ces doux rêveurs ? », demande Rembrandt.
-« Tant que je rêve, je suis. Mes rêves, je leur donne du corps, je m'y emploie contre cette guerre sans cesse recommencée ou jamais éteinte. », répond Comenius. La guerre en Ukraine nous rappelle à quel point le propos est actuel.

Le dernier tableau de Rembrandt, laisse penser que l'humanité de Comenius a progressé en lui au fil de leurs rencontres et que l'image parle quand les mots font défaut. Il dit en image les mots que l'auteure prête au Comenius du roman : « La chose commune à tous les hommes, c'est qu'ils ont été un jour, tous sans exception, un enfant. C'est d'avoir oublié cet état de grâce ou de ne pas avoir été aimé pendant leur enfance qui les rend malheureux. Nous avons en partage notre humanité, mais on l'oublie. »
À lire. Merci Madame Lenka Horňáková Civade
Lien : https://www.dropbox.com/scl/..
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