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Critique de Biblioroz


L'octopus et moi, c'est un lieu qui fascine : Eaglehawk Neck, un isthme en Tasmanie reliant deux presqu'îles, une topographie qu'il faut bien visualiser pour comprendre l'appel de l'océan ressenti par les pieuvres pleines d'oeufs. Ce cadre naturel est magnifiquement présent, l'autrice nous invitant à saisir les lumières éclatantes courant sur l'eau et dans le ciel, leurs couleurs spectaculaires. Elle nous laisse entendre la cacophonie des oiseaux, hirondelles de mer, puffins tournant, virant au-dessus des vagues et des remous de l'océan. Tout l'amour d'Erin Hortle pour ce milieu marin fait scintiller les flots, rugir le vent du nord-est dans la baie, respirer la brise maritime et goûter l'eau glacée de l'océan.
Bien entouré par ce lieu magnétique, zoomons sur Lucy et son incident avec une pieuvre. Cette fois, pour comprendre sa curieuse rencontre avec ce céphalopode, il faut revenir sur certaines circonstances particulières : le cancer, l'ablation de ses deux seins, sa relation toute différente avec son compagnon Jem, son état d'esprit flottant, ne sentant plus qui elle est réellement. Alors, à la demande d'un certain Harry, elle raconte toute son histoire et puisque j'étais à Eaglehawk Neck, j'ai tout entendu.
Les atteintes à son corps. Pintes de bière aidant, les petites réflexions devenaient déplacées, les regards s'égaraient souvent vers son décolleté, ses faux seins d'alors. La maladie écartée, une différence d'attitude envers elle sans qu'elle puisse réagir puisque la honte la tenaillait même si elle savait que c'était absurde de penser ainsi, d'avoir honte de ça. Elle se disait que c'était de sa faute, celle d'avoir pris de faux seins, d'avoir triché sur leur taille.
Tout ce qu'elle désirait à ce moment-là c'était mettre de côté les préoccupations liées à ce corps.
Elle parle, raconte, et à la fin de la première partie, elle nous éclaire sur la traversée de l'isthme qui ouvre ce roman. La voix de la pieuvre qui capture un crabe au passage, l'appel atavique de l'océan mugissant, son corps plein, le sable collé aux ventouses, une lumière agressive et la rencontre, l'incident de l'octopus.

Toutes les références que l'autrice a pu glaner sur l'isthme, sur les pieuvres et leur unique couvée, sur la topographie ancestrale de ce petit bout de terre se fondent parfaitement dans son histoire, dans l'histoire de Lucy. Ici, le monde marin croise celui de l'homme et inversement. le phoque aussi joue son rôle et les confrontations se font, pour le pire, souvent, et le meilleur parfois, rarement.
Les évènements côté marin, côté humain, déferlent. Flo, Poppy, Jem, Harry sont autant de rencontres, de personnes réalistes, si différentes dans leur manière de voir et de se confronter au monde actuel. Jem, pourtant pêcheur d'ormeaux (mais dans les règles), est la voix de la colère écologique. Ses révoltes, ses coups de gueule contre les gens sans scrupules vis-à-vis des animaux dénoncent les dérives de la pêche, le manque de respect du monde animal jeté en plein jour.
L'approche de Lucy avec les pieuvres, auprès de deux vieilles femmes qui chassent la nuit pour les mettre en conserves, m'a fait grimacer. Elle décide par la suite de participer, d'aller à la rencontre de cette amitié naissante pour passer enfin un moment qui lui fera oublier son corps. L'autrice a peut-être opté pour ce choix afin qu'il marque, qu'il claque, juste avant le choc qui entraînera Lucy à se libérer, se retrouver.
Le chemin sera long, parsemé d'amitié, d'amour, de disputes, de constatations écologiques, de vagues revigorantes, de tricot, de tatouage… Il faut se défaire de la place trop encombrante que prend l'image que l'on projette vers les autres et assumer ses choix, ceux pris pour ne pas être étrangère à soi-même. Sa perception du monde s'en trouve accrue, primordiale. Ses décisions, ses choix pour se sentir bien, sont parfois surprenants mais qu'aurions-nous fait à sa place ?

Un premier roman original, documenté, bien ancré dans son somptueux paysage de Tasmanie et plein de secousses humaines, animales et océaniques.
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