Lune ou l'autre

Trente-cinq ans qu'on cultivait ses différences, Pascal et moi, trente-cinq ans qu'on se disait amis. Nous n'avions pas mêlé nos sangs ni craché sur nos vies, mais nous étions des amis d'enfance. De ceux qui, sans s'être choisis, s'habituent graduellement à l'autre parce qu'ils n'ont qu'un mur pour faire rebondir la balle et que leurs parents bavardent le soir en sortant les poubelles. Des amis de circonstances.

"Vieillir ne m'effrayait pas ; c'était plutôt devenir vieux qui m'angoissait. Quant à savoir s'il fallait pleurer ou au contraire se réjouir d'avancer dans l'âge ..." (p.121)

Être l'amant de ma femme semblait autrement plus jouissif que ghostwriter. Être biographe pour le compte d'autrui était pour moi comme une longue punition d'écolier. Des lignes et des lignes d'écriture pour des gens qui aiment parler d'eux, qui ont souvent trop d'argent et pas assez de temps pour le faire eux-mêmes. Je leur inventais un style, étouffant à contrecœur le mien sous un gros coussin de dépit.

Elle me donna rendez-vous à 16 heures le lendemain à la table d'un salon de thé de son quartier. Si certaines relations se construisent dans un lit, la nôtre semblait s'épanouir à table. Je n'avais rien contre. Table de billard, table de jardin, table de massage, table de nuit, qui sait, nous avions peut-être encore toute une série de tables à partager.
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"Le temps passait si vite en compagnie de mon assassin ..." (p.92)

"j'avais une tête perdue quelque part au milieu des étoiles, une tête qui tourne sur elle-même et autour des autres sans jamais établir le moindre contact. [...] j'avais appris qu'un avatar n'était pas une insulte ni un mea culpa une grosse glace à la pêche." (p.11)

Je n'avais pas encore repris mon souffle qu'elle avait repris le cours de sa vie.

Même "face de lune" hurlé par cent cinquante gamins dans la cour de récré pouvait certains jours me sembler doux.

Moi qui m'étais toujours demandé de quelle façon j'allais mourir - la cigarette m'ayant promis comme aux autres une mort lente et douloureuse - je n'étais plus très loin d'avoir la réponse à cette question existentielle. Et à ce stade, je n'avais plus qu'un doute sur la lenteur.

En ce qui concerne ma femme, il m'était inutile de chanter "dites-moi qu'elle est partie pour un autre que moi, mais pas à cause de moi." Je savais pertinemment que c'était à cause de moi qu'elle était partie pour un autre.