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Critique de Dandine


Je vais l'enoncer a la Magritte: ceci n'est pas un livre. Contrairement a Magritte je vais expliciter: ceci est un cabinet de curiosites. Un melange de tout et de n'importe quoi, sans ordre apparent, qui finit par susciter de l'interet, comme un petit musee d'engins d'autrefois, ici une relation d'attitudes d'autrefois, de contenances, de gesticulations, d'exploits si vous m'y poussez, pour le moins extravagants, racontes par un barjo completement givre avec beaucoup de truculence.

Hrabal retranscrit les souvenirs que lui a dicte un de ses oncles, les peripeties de sa vie au debut du XXe siecle, sous l'empire austro-hongrois. Retransmis tels quels, dans le langage epice et caustique de l'oncle, sautant du coq a l'ane, melangeant les histoires, les lieux et les epoques. Hrabal se permet deux rajouts: une sorte de premier chapitre ou il raconte les rapports qu'il a eu, jeune, avec son vieillissant oncle, ecrit en 1949, et un avertissement au lecteur, date de 1981. Il y avoue que, s'etant rendu compte que “ces histoires qui n'avaient ni pied ni tete possedaient en fait leur propre ordre", il en a utilise certains elements pour son livre Cours de danse pour adultes et eleves avances. Et il nous confie son admiration: “Mon oncle Pepin avait un don que possedent aussi les voyantes et les sorcieres, grace a sa voix il pouvait soigner et guerir, dissiper les preoccupations et egayer la vie" […] “Il y avait en lui quelque chose des hassidim ingenus, des rabbins miraculeux, des conteurs populaires ou l'on trouve de tout, ou tout est present, comme ici".

Que raconte cet oncle? Ses constantes deambulations dans les diverses provinces austro-hongroises, ses peripeties guerrieres, ses bagarres (et celles d'autres), ses amourettes (ou plutot ses conquetes et ses esquives des qu'il s'agit d'officialiser). Il est tres content de sa vie et ne cache rien. Il a fait la guerre en Italie (la bataille de Monte Grappa) et sur le front russe (les russes jetant leurs armes au cri de “Austrakou nepoutchai!”), il a chante “Wieder heimat wieder heimat" derriere Konrad von Hotzendorf (le chef d'etat-major austro-hongrois), c'est un heros. “Nous etions des heros parce que les russes etaient quatre fois plus nombreux et nous les avions chasses, oui, quels heros, quand ca a mal tourne nous avons chie dans nos frocs exactement comme ceux que nous avions en face". Et la guerre a aussi ses bons cotes: on peut payer les putes avec un quignon de pain.

En temps de paix il passe d'un metier a l'autre, d'une ville a l'autre, d'une amie a l'autre. Et il prodigue ses avis sur tout. le travail? Les boulangers ont interet a bien se laver les mains, les cordonniers en revanche peuvent se gratter le cul tant qu'ils veulent. L'education? “Comenius disait deja que chaque ecole doit avoir son gourdin" (Oui, oui, Comenius, il a son instruction. Il cite aussi, ou rappelle, les grands auteurs tcheques, Bozena Nemkova, Havlicek, Nejedly, Karafiat. Ils ne vous disent rien? normal, creusez la wikipaedia). La musique? “Strauss, l'ami de Schrammel, quant on lui presenta la symphonie Jupiter de Mozart, avoua qu'il ne comprenait rien, tant le pentagramme etait plein de cles de toutes sortes". “En Amerique on garde les noirs pour la musique, et nous nous demandons: c'est en cela que consiste la democratie?”. “Smetana etait un esclave, un pauvre homme qui s'efforcait d'ameliorer la vie spirituelle de cette stupide nation, c'etait un saint, comme notre bon Dvorak, ce ne furent que tourments jusqu'a ce qu'il reussisse a s'echapper de sa condition d'apprenti boucher pour devenir un genie". Les temps qui changent? “Avant dans les tavernes les gens pissaient dehors alors qu'aujourd'hui elles ont des latrines en ciment, mais par contre il y avait de la boisson partout et de la charcuterie et tout ce qu'on voulait, pendant que de nos jours il n'y a rien, ce qu'il y a c'est contre des coupons, et il arrive que le prix vous enleve la faim".

Et maintenant mes gloses, mon exegese: toute cette logorrhee est en fait l'aboutissement de ce que certains commentateurs talmudiques ont appele flux de conscience Joycien. L'exteriorisation du monologue interieur du petit peuple tcheque. Et n'en deplaise a tous ceux qui se sont laisses bourrer le crane par les sbires de l'inquisition universitaire, ce livre prouve qui est le veritable inspirateur de le cru et le cuit, l'oeuvre qui fit la gloire d'un mythologique vendeur de jeans: Hrabal utilise un langage tres cru mais son livre est cuit a point. Enfin, a point selon de vieilles recettes tcheques, des lecteurs non avertis risquant de s'y casser les dents.
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