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Marianne Canavaggio (Traducteur)
EAN : 9782264021656
127 pages
10-18 (30/11/-1)
3.94/5   8 notes
Résumé :
Les souffrances du vieux Werther est l'hommage plein d'affection et de tendresse que l'écrivain rend à son oncle Pépine. Grand buveur, grand séducteur, hableur génial et maître dans l'art d'esquiver ses responsabilités, l'oncle raconte en sept "procès-verbaux" dictés à son neveu Brohumil, sa jeunesse et ses amours à l'époque des Habsbourg. Des places du marché des villes de garnison de l'Autriche-Hongrie aux sombres venelles du vieux Prague, c'est tout un monde aujo... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Je vais l'enoncer a la Magritte: ceci n'est pas un livre. Contrairement a Magritte je vais expliciter: ceci est un cabinet de curiosites. Un melange de tout et de n'importe quoi, sans ordre apparent, qui finit par susciter de l'interet, comme un petit musee d'engins d'autrefois, ici une relation d'attitudes d'autrefois, de contenances, de gesticulations, d'exploits si vous m'y poussez, pour le moins extravagants, racontes par un barjo completement givre avec beaucoup de truculence.

Hrabal retranscrit les souvenirs que lui a dicte un de ses oncles, les peripeties de sa vie au debut du XXe siecle, sous l'empire austro-hongrois. Retransmis tels quels, dans le langage epice et caustique de l'oncle, sautant du coq a l'ane, melangeant les histoires, les lieux et les epoques. Hrabal se permet deux rajouts: une sorte de premier chapitre ou il raconte les rapports qu'il a eu, jeune, avec son vieillissant oncle, ecrit en 1949, et un avertissement au lecteur, date de 1981. Il y avoue que, s'etant rendu compte que “ces histoires qui n'avaient ni pied ni tete possedaient en fait leur propre ordre", il en a utilise certains elements pour son livre Cours de danse pour adultes et eleves avances. Et il nous confie son admiration: “Mon oncle Pepin avait un don que possedent aussi les voyantes et les sorcieres, grace a sa voix il pouvait soigner et guerir, dissiper les preoccupations et egayer la vie" […] “Il y avait en lui quelque chose des hassidim ingenus, des rabbins miraculeux, des conteurs populaires ou l'on trouve de tout, ou tout est present, comme ici".

Que raconte cet oncle? Ses constantes deambulations dans les diverses provinces austro-hongroises, ses peripeties guerrieres, ses bagarres (et celles d'autres), ses amourettes (ou plutot ses conquetes et ses esquives des qu'il s'agit d'officialiser). Il est tres content de sa vie et ne cache rien. Il a fait la guerre en Italie (la bataille de Monte Grappa) et sur le front russe (les russes jetant leurs armes au cri de “Austrakou nepoutchai!”), il a chante “Wieder heimat wieder heimat" derriere Konrad von Hotzendorf (le chef d'etat-major austro-hongrois), c'est un heros. “Nous etions des heros parce que les russes etaient quatre fois plus nombreux et nous les avions chasses, oui, quels heros, quand ca a mal tourne nous avons chie dans nos frocs exactement comme ceux que nous avions en face". Et la guerre a aussi ses bons cotes: on peut payer les putes avec un quignon de pain.

En temps de paix il passe d'un metier a l'autre, d'une ville a l'autre, d'une amie a l'autre. Et il prodigue ses avis sur tout. le travail? Les boulangers ont interet a bien se laver les mains, les cordonniers en revanche peuvent se gratter le cul tant qu'ils veulent. L'education? “Comenius disait deja que chaque ecole doit avoir son gourdin" (Oui, oui, Comenius, il a son instruction. Il cite aussi, ou rappelle, les grands auteurs tcheques, Bozena Nemkova, Havlicek, Nejedly, Karafiat. Ils ne vous disent rien? normal, creusez la wikipaedia). La musique? “Strauss, l'ami de Schrammel, quant on lui presenta la symphonie Jupiter de Mozart, avoua qu'il ne comprenait rien, tant le pentagramme etait plein de cles de toutes sortes". “En Amerique on garde les noirs pour la musique, et nous nous demandons: c'est en cela que consiste la democratie?”. “Smetana etait un esclave, un pauvre homme qui s'efforcait d'ameliorer la vie spirituelle de cette stupide nation, c'etait un saint, comme notre bon Dvorak, ce ne furent que tourments jusqu'a ce qu'il reussisse a s'echapper de sa condition d'apprenti boucher pour devenir un genie". Les temps qui changent? “Avant dans les tavernes les gens pissaient dehors alors qu'aujourd'hui elles ont des latrines en ciment, mais par contre il y avait de la boisson partout et de la charcuterie et tout ce qu'on voulait, pendant que de nos jours il n'y a rien, ce qu'il y a c'est contre des coupons, et il arrive que le prix vous enleve la faim".

Et maintenant mes gloses, mon exegese: toute cette logorrhee est en fait l'aboutissement de ce que certains commentateurs talmudiques ont appele flux de conscience Joycien. L'exteriorisation du monologue interieur du petit peuple tcheque. Et n'en deplaise a tous ceux qui se sont laisses bourrer le crane par les sbires de l'inquisition universitaire, ce livre prouve qui est le veritable inspirateur de le cru et le cuit, l'oeuvre qui fit la gloire d'un mythologique vendeur de jeans: Hrabal utilise un langage tres cru mais son livre est cuit a point. Enfin, a point selon de vieilles recettes tcheques, des lecteurs non avertis risquant de s'y casser les dents.
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« L'humour tchèque est très particulier. C'est un peu ce qu'on dit de l'humour sous le gibet : plus on est désespéré, plus on fait de blagues, plus on tourne les situations en dérision. Je pense que ceux qui ne comprennent pas l'humour tchèque doivent attendre patiemment, réfléchir. On retrouve évidemment cet humour avec le brave soldat Chveïk de Hašek, et chez Bohumil Hrabal aussi.
Il y a toujours ce côté provocateur et profondément attendrissant, car cela vient en général d'un certain désespoir. [Citation d'Eva Houdová, réalisatrice belge
d'origine tchèque]

Ce livre de Bohumil Hrabal est atypique par sa forme.
C'est tout un monde aujourd'hui disparu qui y revit dans un véritable torrent de paroles !
Hrabal a expliqué dans quelles conditions avaient été écrits en 1949, les différents textes de ce livre.
Il avait quitté ses parents et sa petite ville de Nymburk en Bohème, pour aller s'installer à la Place de la Vieille-Ville à Prague, où il voulait goûter un peu à la solitude…
Mais son oncle Pépi venait lui rendre fréquemment visite et restait dormir chez lui !
Hrabal est agacé par son oncle, mais en même temps il le trouve touchant. Cet oncle est comme un grand enfant qui éprouve des difficultés à vivre dans une époque et une société, où il n'a plus ses repères. Cette époque révolue dont il est nostalgique, c'est celle de l'ancienne Autriche, du temps de l'Autriche-Hongrie et de la dynastie des Habsbourg, où il avait été soldat dans l'armée de l'Empereur, où régnait une discipline de fer.

Pépi est un sacré palabreur, qui adore qu'on l'écoute.
Il a l'art de capter son auditoire.
Il a beaucoup de charisme, et apparemment il était bel homme, et attirait les femmes, car on assiste à un enchainement d'anecdotes concernant ses très nombreuses rencontres amoureuses. Parfois il veut offrir des bouquets de fleurs à des dames qu'il a connues vingt ans auparavant, mais il ne se rend pas compte que les années ont passé !
Ses propos sont la plupart du temps fantaisistes, exagérés. Il est vantard, et inconscient de sa bêtise… Raconter ses souvenirs, ça, il adore, et il se met toujours en avant dans ses récits, et à force détails… tous ses souvenirs de jeunesse y passent !
Le flot de phrases ininterrompu de tous les récits de cet oncle, a plu à Bohumil Hrabal, qui a tapé tout cela sur sa vieille machine à écrire Erko, en sept parties, durant un long trimestre.
« C'était le palabreur numéro un, ma muse, un conteur hors pair, non seulement supérieur à moi, mais à tout ce que j'ai jamais entendu (‘') il avait en lui quelque chose des hassidim naïfs, des rabbins miraculeux, des conteurs populaires en qui tout est là, présent, juste comme ça. »

Bohumil Hrabal ne s'est pas soucié de chronologie pour écrire « Les souffrances du vieux Werther », car chaque petit récit de l'oncle partait aisément dans tous les sens ! Telle une branche d'arbre, un seul récit pouvait se ramifier en de multiples anecdotes sur un ton très enthousiaste !
Ces récits sont tellement imagés et foisonnants, qu'on imagine voir Hrabal en train de peindre à chaque fois un tableau en plusieurs pages.
Mais toutes ces pages, rédigées en 1949, vont dormir dans un tiroir jusqu'en 1963…

Après son deuxième livre, sa maison d'édition lui a demandé s'il n'avait rien pour elle, et c'est là qu'il les a ressortis !
Bohumil Hrabal connaissait alors les collages utilisés par le poète et plasticien tchèque, Jiří Kolář.
Il connaissait les techniques permettant de faire subir aux textes des chassés-croisés destinés à étonner les lecteurs. Il a remplacé des passages qu'il trouvait inintéressants par d'autres qu'il connaissait de son oncle. Et le poète Egon Bondy lui a apporté sa participation pour créer un mode rythmique dans le texte. A partir de ce moment-là, il a pu déposer le tout à son éditeur qui a accepté le texte ainsi réalisé.

Le résultat est un texte baroque, une sorte de monologue intérieur, pauvre en ponctuation et en syntaxe. C'est très rythmé. Hrabal a respecté la verve et le langage cru et parlé de son oncle, qui s'exprime largement dans un langage fleuri, avec des expressions populaires, et argotiques, un brin graveleuses aussi parfois !
Il a réussi à conserver toute l'authenticité des propos très imagés de l'oncle Pépi, qu'on devine aisément, gesticulant et faisant beaucoup de mimiques en racontant ses histoires !

Ces récits anecdotiques s'enchainent à vitesse grand V.
On en perd le souffle !
Les phrases s'emboitent les unes dans les autres comme une longue liste qui n'en finit jamais.
L'oncle Pépi est un véritable moulin à paroles !
Il conte une suite de malheurs survenus à un tas de personnes qu'il a connues dans son entourage, dont beaucoup de couples qui se déchirent… ce qui l'amène à des réflexions sur le mariage, sur l'infidélité et ses conséquences dramatiques, actes violents allant jusqu'aux meurtres … Est-ce sa façon à lui, de justifier qu'il ne veut pas du mariage pour lui-même ?

On s'immisce au fil de la lecture dans la vie quotidienne de l'époque avec ses us et coutumes, la bien-pensance, les excès des uns et des autres, excès de langage, de comportement, …
Pépi fait part de l'aversion qu'il éprouve envers les hommes d'Eglise… envers les nobles aussi…
Il dénonce également dans ses propos, l'ostracisme qu'il constate, envers les tziganes, les noirs, et il réclame une vraie démocratie. On a l'impression d'entendre l'oncle Pépi discuter au comptoir d'un bistrot, en mélangeant dans ses propos, la culture (avec des anecdotes sur Strauss, Mozart, Smetana, Dvořák), la politique, l'Histoire et ses hommes illustres (avec des anecdotes sur François-Joseph 1er, Charles 1er, Jan Hus, Havlíček, Edison, …) et les différents ragots dont il entend parler autour de lui…

Je pense qu'il convient de connaître un tant soit peu l'oeuvre de Bohumil Hrabal et particulièrement ses premiers textes comme ceux figurant dans « Ballades sanglantes et légendes » pour apprécier ce livre, à sa juste valeur.
Ce Pépi est un sacré personnage qui ne peut pas laisser indifférent, et on sent combien Bohumil Hrabal éprouvait de tendresse envers cet oncle !
J'ai envie de dire que « Les souffrances du vieux Werther » est une lecture atypico-comico-tonique, s'il en est !

Pour info, sur la 1re de couv. de ce livre, il est noté « Café Sperl ». Né en 1880, à Vienne, le café Sperl prend soin de conserver sa déco de l'époque de l'Autriche-Hongrie : banquettes de velours, boiseries, tables de billards, cuivres et moulures. Il est peut-être le plus typique de Vienne, et pour rester dans l'esprit du lieu, des lectures de grandes oeuvres littéraires s'y tiennent régulièrement.
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Commentaire fait dans le cadre d'une relecture des oeuvres de l'auteur.Titre qui semble un clin d'oeil sinon un hommage à l'ouvrage de Goethe [b]Les souffrances du jeune Werther[/b] mais qui ne possède pas du tout le même contenu ni la même forme. Hommage de Hrabal envers son oncle, un vieil homme spectateur de son pays et de son époque, des moeurs, des relations sociales et surtout des amours.
On est littéralement abreuvés par les anecdotes narrées en un argot magnifique et avec un humour pince sans rire qui rappelle bien l'esprit tchèque.
récit tantôt trivial, tantôt grave il demeure touchant quoiqu'il arrive. On fini essoufflés mais en demande de plus, après tout, Bohumil fait tout dans cette oeuvre pour qu'on ait l'impression de faire partie de la famille. J'ai adoré, simplement, mais grandement.
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
…, on balançait des grenades à main, on arrache la goupille et si on se trompe dans ses calculs, c’est la catastrophe, à l’exercice le brigadier avait une fausse grenade pour nous montrer les pièces et nous apprendre à compter jusqu’à douze, et une fois qu’il était parti aux cabinets, un petit malin lui en a glissé une vraie, et comme on révisait les pièces et qu’on revoyait comment compter jusqu’à douze, bang ! ça avait mis toute la chambrée en marmelade, et lui,
il avait les tripes dehors, c’est comme une andouillette, ça a une ficelle, et on a toujours un pied dans la tombe et l’autre à l’hôpital, ...
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(...) l'un peut enfourcher une grande jument, il ne lui arrive rien, tandis qu'un autre attrape un chancre avec une beauté, c'est pour ça qu'il faut savoir ce que c'est, à l'armée quand il y avait la syphilis, on était consignés, la syphilis, c'est quand on devient aveugle ou sourd ou quelque chose de ce genre, et après on vous la coupe, si les soldats vivaient dans l'abstinence au lieu de sauter n'importe quelle poule, ils n'auraient pas de chancre sur la queue, quand on ne se soigne pas, ça va mal, quand on se soigne, ça revient, une fille, une tombeuse qui veut se marier, elle marque dans sa petite annonce, "caractère franc", mais ça ne suffit pas de dire qu'on est honnête, ça, tout le monde peut le dire, c'est rien, quand une fille comme ça veut un mari, elle le fait examiner par un médecin spécialisé pour voir s'il est immaculé, mais s'il tringle tout le monde, s'il boit, ou a des enfants avec quatre femmes, ça finit par être louche, (...)
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[Bohumil Hrabal : Une trop bruyante solitude]
A la Fondation Suisse de la Cité Internationale Universitaire de Paris, Olivier BARROT présente le livre du romancier tchèqueBohumil HRABAL : "Une trop bruyante solitude". Après en avoir lu les premières lignes, Olivier BARROT rappelle qui est Bohumil HRABAL, dans quelles conditions il a écrit et résume ce qu'il définit comme un conte philosophique.
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