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Critique de michfred


Si le Franz Kafka de "la Colonie Pénitentiaire" avait passé avec le Milan Kundera du "Livre du rire et de l'oubli" , une soirée rythmée par les blagues juives du Jiri Weil de "Mendelssohn est sur le toit", et par les contes imaginatifs de Léo Perutz, cela donnerait sans doute cet OVNI spécifiquement tchèque, décalé, déjanté, totalement poilant et absolument désespéré :" Moi qui ai servi le roi d'Angleterre" de Bohumil Hrabal.

Je m'y suis jetée à corps perdu, parce qu'une bonne rasade de dérision, un soupçon de tendresse et une pincée de poésie, c'est exactement ce que prescrivent les bons docteurs en ces temps de violence meurtrière et d'intolérance explosive...

Le remède a fonctionné: aussi je vous le recommande chaudement!

Bohumil Hrabal,..... on dirait presque un nom de médoc d'ailleurs: 30 pages après chaque repas, c'est souverain pour vous alléger le cafard le plus noir, pour mettre à distance le pessimisme le plus définitif, et pour vous réconcilier en douceur avec l'espèce humaine...

L'histoire se passe à Prague, dans une série de grands hôtels prestigieux : un petit groom, vraiment petit, tout petit, rêve de devenir grand, le plus grand, le plus riche, le plus stylé des maîtres d'hôtel, tel celui qui avait servi le Roi d'Angleterre, et pouvait au premier coup d’œil deviner si le client qui entrait allait commander une poularde demi-deuil ou un bœuf Strogonoff...

Son ascension sociale est fulgurante: elle s'opère sur fond d'aliénation progressive de la Tchécoslovaquie d'abord par l'annexion des Sudètes par Hitler, puis par l'écrasement de Prague sous la botte nazie : arianisme triomphant, Lebensborn, Lidice rayé de la carte, camps, spoliation des biens juifs...

Mais la décadence du petit groom ne l'est pas moins: elle s'opère sur fond d'asservissement au "grand frère" soviétique, après le coup de Prague et l'étau de fer du stalinisme : saisie des grosses fortunes, bureaucratie triomphante,espionnite généralisée, procès truqués, camps de travail et relégation dans des forêts glaciales et désolées..

Eh ben, pour une poilade, c'en est une bien bonne, de la franche rigolade,tout ça, me direz-vous!!

Détrompez-vous! L'âme tchèque rit de ce qui déchire son cœur, et elle en rit avec talent: c'est sa suprême liberté, son élégance, son panache, sa marque de fabrique!

Notre rat d'hôtel est un salaud, c'est une évidence, mais ses faiblesses, ses failles, le rendent humain, drôle, touchant: il aime l'argent, la notabilité, il est flagorneur - mais il adore tellement les femmes, surtout les femmes légères et les grandes coquines, qu'il couvre leur sexe de fleurs et d'aiguilles de pin (!!!). Il est si coquet qu'il ne peut résister à une cravate blanche -dût-il la voler- et à un frac bien coupé- dût-il le faire virevolter comme un cerf-volant chez son tailleur fou - . Il est si gourmand qu'il se damnerait pour la recette éthiopienne du dromadaire farci -une page inénarrable de loufoquerie poétique- si esthète qu'il crée autour de son grand hôtel un parc improbable avec manèges de chevaux de bois, enclumes de forgerons et fleurs rares... Il est si profondément misanthrope que les animaux , et sa propre silhouette renvoyée par mille miroirs, deviennent ses derniers compagnons...

On rit parfois à gorge déployée, tant la verve inventive, la poésie burlesque associées à des marqueurs historiques glaçants, ont des effets détonants...

Derrière ce rire irrespectueux, ces entrechats endiablés, cette outrance salutaire, j'ai retrouvé, intact, mon amour pour Prague, ses artistes, ses écrivains...et la "litost" si bien définie par Kundera dans Le Livre du Rire et de l'Oubli m'a envahie: envie irrépressible de retrouver cette ville, si naturellement "surréaliste" où, effectivement," l'inconcevable devient réalité" comme le dit à maintes reprises notre petit groom narrateur...

Bohumil Hrabal, que j'aime ta façon légère de parler des choses graves!
Que j'aime ton joyeux désespoir, ta démesure dans les détails, ton imagination qui rue dans les brancards féroces de l'Histoire comme un petit cheval rétif...
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