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Critique de popie21


Cher M. Hugo,

«Je vous fais une lettre, Que vous lirez peut-être, Si vous avez le temps» (l'éternité en fait). Voilà je viens de terminer Bug-Jargal et moi qui vous révère, me voilà sous le coup d'une petite déception. Je dois reconnaître que c'est du pur génie d'avoir écrit cette oeuvre à l'âge de 16 ans (en quinze jours!), et même si vous l'avez étoffée à l'âge de 24 ans, je dois dire que si l'un de mes enfants me donnait à lire ce genre de prose au même âge, nul doute que je crierais au génie ! Peu de pages sont nécessaires pour comprendre que votre écriture est incomparable et que votre âme regorge de poésie.

Et pourtant votre ambiguïté concernant la cause des Noirs est pour moi trop présente dans cette oeuvre. Ainsi l'amitié du jeune Léopold d'Auverney avec Bug-Jargal ressemble trop à un mélange d'admiration involontaire et de condescendance.

Vous nous décrivez sans sourciller le nuancier des différentes teintes de noirs :
«M. Moreau de Saint-Méry, […], a classé dans des espèces génériques les différentes teintes que présentent les mélanges de la population de couleur.
[…]
Ces neufs espèces sont le sacatra, le griffe, le marabout, le mulâtre, le quarteron, le métis, le mamelouc, le quarteronné, le sang-mêlé. le sang-mêlé, en continuant son union avec Le Blanc, finit en quelque sorte par se confondre avec cette couleur. On assure pourtant qu'il conserve toujours sur une certaine partie du corps la trace ineffaçable de son origine.»

D'Auverney lui-même, ami de Bug-Jargal, ne reconnaît pas au nain Habibrah, qu'il appelle le «rancuneux», le droit de se rebeller lui qui était traité de la plus infâme manière :
« - Malheureux ! lâche assassin ! tu avais donc oublié les faveurs qu'il n'accordait qu'à toi ? tu mangeais près de sa table, tu dormais près de son lit...
- … Comme un chien ! interrompit brusquement Habibrah ; como un perro ! Va ! je ne me suis que trop souvenu des ces faveurs qui sont des affronts !»
On sent ici que votre coeur balance, vous reconnaissez qu'Habibrah était traité comme un chien mais vous semblez penser néanmoins qu'il était un privilégié et qu'il aurait dû être le dernier à se venger de son maître.

Il est vrai qu'à chacune de mes lectures, j'ai parfois des réactions épidermiques car j'ai souvent du mal à remettre une oeuvre dans son contexte, or il est certain qu'à votre époque cette façon de penser n'avait rien d'inhabituelle.
Cependant, les repères historiques inclus en fin de livre nous montrent qu'en 1770, l'abbé Raynal avait publié un ouvrage connu sous le titre «Histoire des deux Indes», qui «contient une violente critique de l'esclavage et du colonialisme».
Je sais que par la suite vous avez pris fait et cause pour la l'abolition de l'esclavage. Pourtant, dans votre «Seconde Lettre à l'Espagne» du 22 novembre 1868 où vous plaidez la cause de l'abolition de l'esclavage, vous écrivez :
«Toutes vos splendeurs ont cette tache, le nègre. L'esclave vous impose ses ténèbres. Vous ne lui communiquez pas la civilisation, et il vous communique la barbarie. Par l'esclave, l'Europe s'inocule l'Afrique.»
Cette phrase laisse à penser que vous considérez l'Afrique et ses habitants comme un virus et qu'il convient donc de civiliser les Noirs afin de ne pas être contaminé par leur «barbarie». C'est grâce aux annexes du livre que j'ai découvert cette lettre et j'ai eu l'explication du malaise que j'ai ressenti tout au long du récit de Bug-Jargal, cette impression de paternalisme et de supériorité qui ferait d'un ami des Noirs une bonne personne en leur permettant d'accéder à la rédemption qu'offre la civilisation.

Voilà tout mon ressenti cher M. Hugo, j'ai une petite plaie ouverte désormais, mais je vous garde dans mon coeur car un homme qui a écrit de si magnifiques choses ne peut pas être un mauvais homme. Disons simplement que l'immense lumière de votre génie a malencontreusement laissé une toute petite place à l'obscurantisme, revers peut-être inévitable d'une médaille dont l'éclat m'éblouit encore, presque deux siècles plus tard.

Merci de m'avoir lue cher M. Hugo, j'espère ne pas vous avoir froissé mais il fallait que mon coeur s'épanche, voilà qui est fait, avec tout le respect qui vous est dû.

Signé Furax, Popiette, Anonymous, …
D'accord juste pour vous, Sophie.
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