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Critique de melchior


On se souvient peut-être que Joris, le héros du livre d'Alain Agat Negropolis, apatride en métropole comme dans sa Guadeloupe d'origine, envisageait un nouveau départ dans cette Guyane où tout semblait possible. C'est ce que pense sans doute un grand nombre d'individus rassemblés par Denis Humbert dans le Bar du Caïman noir, où un évènement tragique vient de se produire.

À partir de là, le roman se déploie sous la forme d'une analepse polyphonique, conduisant à la révélation de cette soirée fatale. À travers des archétypes, Denis Humbert brosse le portrait d'une Guyane complexe dont on connait, chez nous, peu de choses. À peine sait-on encore qu'elle fut implacable terre d'exil, tout juste nous souvenons-nous que de son sol décollent les fusées européennes.

Le bar du Caïman noir est un western, qui ressemble beaucoup à Deadwood sans le côté épique et héroïque que pouvait lui apporter la présence de légendes amerlocaines. Ici, de pauvres hères venus du Brésil et travaillant pour des maîtres invisibles saccagent la forêt vierge et polluent les eaux pour trouver l'or. Tentant d'échapper, tant aux rares opérations de police qu'aux fréquentes attaques de voleurs, souvent misérables garimpeiros comme eux, leur activité contribue à un implacable climat de violence. La torture et le meurtre sont chose courante, les corps, pour autant qu'on les cherche, pouvant disparaître de mille façons.

Dans leurs cloaques, ils ont besoin de vivres et d'équipements que leur fournit Thomas – homme d'affaires déchu ayant fui la métropole pour se refaire une virginité – car cette fièvre de l'or ne peut tourner sans une ronde de profiteurs, d'édiles corrompus, de gendarmes inefficaces [1]. Ni sans femmes pour le repos du travailleur... alors “ on ” les importera du Brésil ou on prélèvera dans les tribus autochtones des adolescentes émerveillées par l'argent facile. Sofia, métisse brésilienne qui sert désormais au Caïman noir et est devenue la favorite du patron, a connu les conditions inhumaines de ces camps. Elle qui poursuit le rêve de retourner au pays s'occuper de sa jeune soeur fera tout pour ne pas être contrainte d'y retravailler.

La haine de Frantz, bâtard amérindien qui apporte aux clandestins, par voie d'eau, les marchandises de Thomas, embrasse tous ceux qui ne sont pas indigènes, depuis le colon blanc jusqu'aux descendants de l'esclave marron, en passant par le Hmong installé durant le Plan Vert [2]. Lié intimement au fleuve, à une culture qui se délite sous ses yeux et à laquelle il n'a pas eu vraiment accès, Frantz est complexe et paradoxal. Son désespoir créera les conditions de la déflagration et il saura faire de l'avide Caporal Bob, un ancien légionnaire, l'instrument de sa vengeance du seul contre tous. Ce dernier ressemble un peu à ces libérés du temps de la Pénitentiaire, qui n'avaient pas le droit de rentrer en métropole et pourrissaient sur place dans la moiteur, la nonchalance douceâtre d'un pays qui n'avait rien pour eux.

Enfin, le Bar du Caïman noir déroule l'idylle entre Alia – brillante chercheuse spécialisée dans les parasites et issue des cités de la banlieue de Paris – et Simon – consultant cynique que s'arrache le monde des affaires –, qui vont peut-être trouver à Régina la solution à une impossible histoire d'amour traînant entre eux depuis leurs quinze ans. Illustrant l'aspect rédempteur du pays, cette partie romantique m'a semblé la plus convenue et donc la moins intéressante du roman.

Denis Humbert nous invite à suivre ses personnages durant l'année qui précède la soirée tragique du Caïman noir, dont le lecteur découvrira avec ravissement les tenants et aboutissants. Son écriture, sobre et efficace, qui passe de l'un à l'autre tout en montrant leur évolution, est parfaitement addictive. le Bar du Caïman noir est un bel hommage à cette Guyane qui est aussi – caprice colonial persistant – la France (et y résiste à sa façon). Un bout de France livré à la folie des hommes depuis quatre siècles, bien loin du paradis tropical (en librairie le 5 juin 2013).

Lien : http://leventsombre.cottet.o..
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