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Critique de Valdimir


Romancière, Nancy Huston prend ici la plume pour rédiger un essai qui se veut délibérément subjectif, sans s'embarrasser d'une documentation savante. C'est rédigé façon Tractatus logico-philosophicus mais en nettement plus léger. L'argumentation se déploie à travers une suite de réflexions, livrées sous forme d'aphorismes et de brefs paragraphes développant chacun un argument. Que nous dit l'auteure ? Eh bien, que l'être humain se définit par les fictions qu'il invente perpétuellement : mythes, épopées, contes, histoires, tout est imagination et narrativité, nous ne pouvons faire autrement que de donner du sens à ce qui nous entoure.
Chaque mot dans ce texte étincelant d'esprit est pesé. Laissons parler Nancy Huston :
– fictions que nos mots… "Le réel est sans nom. le nom "juste" ou "naturel" – d'un objet, acte ou sentiment – n'existe pas." "Aussi loin que l'on remonte dans les étymologies, de mot en mot on ne trouve que d'autres mots, c'est-à-dire d'autres signes arbitraires, découpant le monde, construisant leurs objets au lieu de les trouver." "C'est nous seuls qui les avons engendrés. Ils sont réels puisqu'ils font partie de notre réalité, mais ils ne sont pas "vrais"." "Toute nomination est un acte magique."
– fiction que notre moi… "Je est une fiction." "La conscience, c'est l'intelligence plus le temps, c'est-à-dire : la narrativité." "En pénétrant dans notre cerveau, les fictions le forment et le transforment. Plutôt que nous les fabriquions, c'est elles qui nous fabriquent – bricolant pour chacun de nous, au cours des premières années de sa vie, un soi." "Pour disposer d'un soi, il faut apprendre à fabuler. On l'oublie après, commodément, mais il nous a fallu du temps, et beaucoup d'aide, pour devenir quelqu'un. Il nous a fallu des couches et des couches d'impressions reliées en histoires. Chansons. Contes. Exclamations. Gestes. Règles. Socialisation. Propre. Sale. Dis pas ceci. Fais pas cela."
– fiction que notre identité… "Personnage et personne viennent tous deux de persona: mot bien ancien (les Romains l'ayant emprunté aux Etrusques) signifiant "masque"." "Un être humain, c'est quelqu'un qui porte un masque." "Chaque personne est un personnage." "La spécificité de notre espèce, c'est qu'elle passe sa vie à jouer sa vie."
– fiction que notre mémoire… "Notre mémoire est une fiction. Cela ne veut pas dire qu'elle est fausse, mais que, sans qu'on lui demande rien, elle passe son temps à ordonner, à associer, à articuler, à sélectionner, à exclure, à oublier, c'est-à-dire à construire, c'est-à-dire à fabuler."
– fiction que l'histoire… "Tout récit historique est fictif dans la mesure où il ne raconte qu'une partie de l'histoire".
– il y a de quoi devenir parano… "La peur est la réaction normale de tout animal menacé de mort ; mais le fait de savoir d'avance qu'on va mourir, et de vivre dans la narrativité, change tout." "Les humains interprètent tout, et une de leurs interprétations favorites est la suivante : si j'ai un problème, c'est que quelqu'un m'a voulu du mal" "La paranoïa, maladie de la surinterprétation, est la maladie congénitale de notre espèce."
– et conduire au désespoir… "Le Sens est notre drogue dure" "Le Sens dépend de l'humain, et l'humain dépend du Sens." "Quand nous aurons disparu, même si notre soleil continue d'émettre lumière et chaleur, il n'y a aura plus de Sens nulle part. Aucune larme ne sera versée sur notre absence, aucune conclusion tirée quant à la signification de notre bref passage sur la planète Terre : cette signification prendra fin avec nous."
– mais… "Le fait de croire en des choses irréelles nous aide à supporter le réel."
– et l'acte de fabulation qu'est le roman vient à notre secours… "Seul le roman se déroule exclusivement au plus intime de notre être, à savoir dans notre cerveau. Partant, il nous fait entrer dans le cerveau des autres et nous rend témoins." "A la faveur de la lecture, et de l'identification qu'elle permet aux personnages d'époque, de milieu, de culture autres, l'on parvient à prendre du recul par rapport à son identification reçue. Partant, l'on devient plus à même de déchiffrer d'autres cultures, et de s'identifier aux personnes les composant."
– alors est-ce que je crois à tout ce que dit Nancy Huston ? Non, quand elle écrit que la science ne produit pas de sens, ou que l'association des hommes dans le but d'asservir des femmes serait à l'origine de la civilisation, je n'adhère pas. Mais rappelons-le, il ne s'agit pas d'une oeuvre savante et Nancy Huston est romancière. Elle s'exprime dans un langage plein de poésie et d'humanité, en faisant des variations sur chacun des thèmes abordés. Peut-on lui en vouloir de fabuler un peu ou même beaucoup ?
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