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Critique de michfred


Une merveille. Un bijou. Une rareté.

Voici un livre vraiment unique- non, en fait, ils sont deux, et de la même auteure (et ce mot au féminin prend toute son ampleur !).

Je viens d'entrer il y a quelques semaines dans le cercle très privilégié-et j'espère pas fermé du tout- des admirateurs béats de Gouzel Iakhina !

Zouleikha m'a vraiment ouvert les yeux !

L'occurrence discrète et toujours justifiée du titre dessine en effet le parcours d'un éveil.

Les deux grands yeux verts de Zouleikha s'ouvrent à la connaissance du vaste monde... Une aventure qui, dans l'URSS de 1930, en pleine dékoulakisation, n'a rien d'un parcours de santé. Et ils s'ouvrent aussi, pour la toute jeune et naïve Zouleikha, à la connaissance de soi dans les pires conditions qui soient.

En quelques jours, en effet, Zouleikha (dont les seules manifestations d'indépendance étaient d'aller voler du sucre chez sa terrible belle-mère pour l'offrir aux divinités des bois qui veillent sur ses quatre petites filles mortes) , découvre brutalement qu'il va falloir survivre seule -ou presque : elle attend un cinquième enfant- quand la Horde rouge, commandée par Ignatov l'incorruptible, tue son (tyran de) mari et l'emmène avec d'autres paysans rétifs à la collectivisation, sur les routes et les eaux qui les déporteront en Sibérie, au milieu de nulle part.

L'histoire terrible de l'union soviétique saignée à blanc par le petit père des peuples est donc la toile de fond de cet éveil d'une conscience à la réalité du monde et à elle même.

Tout est là : les exactions, les persécutions, les déportations, le goulag, la propagande, le triomphe des bureaucrates et des lèche-bottes, la suspicion, la délation, les massacres de masse...

Et pourtant rien n'est moins atroce et violent que ce récit subtil, tendre pour ses personnages : il n'est que de voir le portrait d'Ignatov, guerrier et communiste intransigeant, qui se mue en sauveur de "ses" déportés et en divinité tutélaire du camp qu'il a construit avec eux sur les bords de la sauvage Angara.

La Russie est un pays dévasté par la révolution et la guerre civile, divisé par mille langues et traditions religieuses différentes (Zouleikha est une tartare musulmane mais plus encore imprégnée des rites et légendes animistes et païens qui restent vivaces dans sa région) : cette complexité, sous la plume ailée de Gouzel Iakhina, ouvre les vannes d'une poésie quasi magique.
La belle-mère assassinée devient un fantôme de mauvais augure, les neiges, la glace, les loups et les ours servent les voies capricieuses du destin et donnent à l'épopée des pauvres koulaks un air de conte initiatique et cruel.
Les personnages les plus odieux deviennent des caricatures dont on se moque à bas bruit.
Le désir féminin est un torrent de miel qui s'empare de Zouleikha comme si un sort lui avait été jeté.

À l'inverse, l'histoire du roi des oiseaux que Zouleikha raconte à son fils Youssouf résonne comme une parabole ou une fable politique.

Et la lecture devient, littéralement, un enchantement grâce, aussi, à une traduction époustouflante de finesse et qui a su préserver l'"exotisme" de ces steppes lointaines : un lexique final donne les clés des mots tatares qui émaillent le récit. Mais on s'y est tellement immergé et on s'est tant imprégné de cette saga qu'on les a fait nôtres depuis longtemps...

Il y a bien longtemps, aussi , que je n'avais goûté pareil plaisir de lecture...

Merci à tous les poissons pilotes de babelio à qui je dois cette précieuse découverte, Idil en tête...
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