AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de HordeDuContrevent


Quelle étrange lecture…! Au-delà de l'atmosphère de ce récit singulier qui me poursuit une fois le livre terminé, je ne cesse de m'interroger sur les intentions de l'auteure, Natsuko Imamura. Qu'a-t-elle voulu nous dire ? Chaque lecteur se fera sa propre idée et c'est à mon avis ce qui fait la force de ce livre dans lequel il ne se passe quasiment rien…et beaucoup à la fois mais de manière discrète, légère, lente, presque invisible, onirique. Tout se niche dans les détails et surtout les interprétations du lecteur. Une ambiance japonaise.

La femme à la jupe violette est un petit livre, proche de la nouvelle, dans lequel nous suivons les observations, pensées et étonnements d'une femme qui se présente comme étant La femme au cardigan jaune. Obnubilée, voire obsédée par une femme de son quartier, celle qu'elle prénomme La femme à la jupe violette, avec laquelle elle aimerait devenir amie, elle ne cesse de prendre acte de tous ses faits et gestes, de la suivre, de l'épier. Au point de noter tout dans un carnet.
Au début du livre cette femme à la jupe violette, qui s'appelle en réalité Mayuko Hino, semble fragile, frêle, en errance telle une adolescente, alternant les périodes d'activité et d'inactivité, et ayant ses petites habitudes dans un parc public, dégustant une brioche à la crème toujours assise sur le même banc sous les regards complices et envieux des enfants qui jouent dans ce parc. Guidée discrètement par la femme au cardigan jaune qui laisse trainer sur ce banc des journaux contenant des annonces d'emploi, la femme à la jupe violette va trouver un travail de femme de ménage dans un hôtel, l'hôtel où travaille déjà précisément la femme au cardigan jaune. Une façon commode de l'observer encore davantage. Nous voyons alors la transformation de la femme à la jupe violette qui va s'intégrer dans ce monde professionnel déployant une motivation et une efficacité surprenante, s'épanouissant physiquement, pour ensuite retomber brutalement de son piédestal, objet de moqueries et de commérages lorsque ses collègues vont comprendre qu'elle est devenue la maitresse du directeur.

Le fait de l'espionner jusqu'à chez elle, d'épier le moindre de ses gestes donne au livre une atmosphère particulièrement oppressante, voire inquiétante :
« En bref, ce que j'essaie de vous dire, c'est qu'il y a longtemps que j'aspire à devenir amie avec la femme à la jupe violette. Soit dit en passant, il y a un petit moment déjà, que j'ai mené mon enquête pour savoir à quoi ressemblait le domicile de la femme à la jupe violette. C'est un immeuble délabré, situé non loin du parc. Proche de la galerie marchande, aussi, bien entendu. le toit est en partie couvert d'une bâche en plastique, la rampe de l'escalier extérieur rongée et brunie par la rouille. La femme à la jupe violette ne pose jamais la main dessus lorsqu'elle monte à l'étage. Elle occupe l'appartement du fond : le numéro 201 ».

On ne sait pas grand-chose sur la femme au cardigan jaune si ce n'est qu'elle est une des cheffe, cheffe Gondô, peu reconnue dans son travail car médiocre employée du fait de ses absences répétées (son espionnage lui prend beaucoup de temps il faut dire), et invisible. On ne la remarque pas, elle n'intervient jamais, sauf à la toute fin du livre.
Est-ce par jalousie qu'elle est obsédée par Mayuko Hino qui, elle, capte le regard, capte la lumière ? le message de l'auteure est-il de dénoncer l'invisibilité sociale ? Existe-t-elle vraiment d'ailleurs cette femme au cardigan jaune ? Les deux femmes ne forment-elles pas une seule et même personne, la jupe violette et le cardigan jaune étant une seule et même tenue ? Dans ce cas n'est-ce pas la femme à la jupe violette qui tente de se voir de l'extérieur ? de s'observer ? de se raconter ? Ou encore la femme au cardigan jaune n'est-elle pas son ange gardien, celui qui voit tout et qui veille ?
Les questions, nombreuses,défilent dans ma tête…d'autant plus que la fin du livre est très mystérieuse quant aux intentions réelles de la femme au cardigan jaune. Une fin sibylline pour mieux nous perdre, qui pourrait laisser un goût amer d'inachevé, qui, pour ma part, m'a laissé un gout délicieux de mystère.

Je vois également ce petit livre comme un pamphlet, sans leçon ni pathos, contre le monde du travail qui transforme notre vraie nature, nous métamorphose en nous plongeant dans un bain social contraint dans lequel il nous faut jouer un rôle, rôle pouvant aussi vite être reconnu, apprécié que méprisé. le monde du travail est violent et éprouvant, même s'il nous permet d'avoir des liens sociaux. C'est ce que Natsuko Imamura veut faire passer comme message au travers de la femme à la jupe violette à mon sens.

Ce fut au final une lecture agréable, fluide tout en étant mystérieuse, une lecture avec sa petite musique personnelle, son odeur bien caractéristique, sa voix si particulière et donc, étonnamment, je sais que je m'en souviendrai alors que la trame narrative est ténue. L'épure a parfois du bon…
Commenter  J’apprécie          8822



Ont apprécié cette critique (87)voir plus




{* *}