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Critique de berni_29


Servir le peuple.
C'est un cri, c'est un ordre, c'est une injonction, que dis-je c'est une injonction, c'est une jubilation !
Petit Wu, jeune paysan naïf, fraîchement marié et conscrit exemplaire devient l'ordonnance d'un colonel de l'Armée populaire de libération. Tout se passe pour le mieux jusqu'au jour où le colonel, militaire ambitieux, s'absente pour deux mois à Pékin, confiant l'intendance de sa maison à Petit Wu, maison dans laquelle vit la femme de son supérieur. Petit Wu doit très vite répondre à l'injonction de celle-ci. « Tu dois servir le peuple, Petit Wu ! »
Servir le peuple. Ce célèbre slogan de la Révolution culturelle devient brusquement dans la bouche pulpeuse de la femme du colonel une injonction qui prend une tout autre saveur...
Dans ce roman graphique furieusement débridé, Alex W. Inker adapte de manière inspirée le roman éponyme de Yan Lianke. La couverture annonce la couleur. Une couverture rouge qui n'est pas s'en rappeler un célèbre petit livre de la même couleur. On voit un jeune soldat au garde-à-vous, à la tenue débraillée, vêtu d'un marcel affichant l'étoile révolutionnaire, tenant à la main une bouilloire. Et en arrière-plan on devine la forme lascive d'un corps féminin abandonné dans l'attente...
Le ton est déjà donné dans la forme de cet objet graphique insolite, révolutionnaire à sa façon.
Servir le peuple devient alors une injonction frénétique, sans entrave, à obéir aux ordres de la jeune femme qui se fait appeler Tante Liu, ou Soeur Liu cela dépend des moments, obéir debout, allongé, obéir dans toutes les positions inimaginables où il est possible de servir le peuple, se pliant à toutes les exigences de la femme du colonel en bon petit soldat révolutionnaire, accédant à tous ses désirs. Celle-ci va ainsi initier le jeune homme encore un peu effarouché aux joies du patriotisme. Et les amants ne manquent pas alors d'imagination pour servir ce peuple insatiable...
Mais le jeu des amants a besoin de saveur et de piment... L'attention, - ou la tension, écrivez-le comme vous voulez, du jeune amant Petit Wu se relâche.
Le désir s'étiole, Tante Liu commence à s'ennuyer, à s'agacer même... Un jour, par mégarde, le jeune homme fait tomber une petite statuette à l'effigie de Mao Tsé-toung qui se brise en mille morceaux à ses pieds. La femme du colonel entre en furie, menaçant de dénoncer Petit Wu auprès de sa hiérarchie. C'est alors que le corps du jeune homme montre brusquement une émotion qui ne laisse pas indifférente la sensuelle Tante Liu. Et voilà nos amants repartis à servir le peuple dans toute son extase... !
Alors le jeu amoureux devient peu à peu une transgression, un acte contre-révolutionnaire...
Détournant le slogan du Grand Timonier clamé lors de la Révolution culturelle, le propos de Yan Lianke et le dessin d'Alex-W-Inker en font une satire coquine et libertaire. Ici la doctrine révolutionnaire en prend un sérieux coup aux reins. Et c'est jubilatoire...
Le trait d'Alex W. Inker est grossier, outrancier, comme le sont les dictateurs, comme l'est ce slogan, comme l'est la servitude volontaire. Chaque planche traduit de manière naïve la propagande maoïste, en en faisant une sorte de pastiche réjouissant.
Retrouvant ici l'âme de Yan Lianke, j'ai adoré le ton insolent, ubuesque, absurde jusqu'à la caricature, de cette BD inspirante et féroce, terriblement lucide contre l'ordre politique chinois en place. Toujours en place...

" Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. "
Étienne de la Boétie
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