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Critique de Presence


Ce tome est le vingt-deuxième d'une série au long cours, qu'il faut avoir commencée par le premier tome. Elle est écrite, dessinée et encrée par Takehiko Inoué. Au Japon, sa prépublication s'effectue dans le magazine "Weekly morning" depuis 1998, en noir & blanc. En France, elle est publiée par les éditions Tonkam depuis 2001, en respectant le sens de lecture japonais, de droite à gauche. Ce tome contient les chapitres 189 à 197. Il n'y a pas d'index des personnages dans ce tome.

Le premier chapitre narre la fin de l'affrontement entre Miyamoto Musashi et son adversaire, en insérant également une scène du passé éclairant la psychologie de cet adversaire. de son côté, Denshichiro poursuit sa veillée dans l'attente de son frère, afin de le prier de lui faire bénéficier de son enseignement.

De son côté, Miyamoto Musashi va laver ses plaies dans l'eau d'un ruisseau, et finit par accepter l'hospitalité d'un paysan de passage, Koetsu Hon'Ami, chez qui il dort 3 jours et 3 nuits d'affilée. En ville la rumeur de la victoire de Musashi enfle, et plusieurs rônins le recherchent pour se mesurer à lui et prouver leur valeur.

Arrivé au vingt-deuxième tome, le lecteur repère les éléments qui lui sont familiers. Il sait qu'il peu guetter l'apparition d'animaux comme étant des symboles, ou des indicateurs d'une ambiance. Ici il voit des moineaux se poser sur le faîte d'un toit, comme indication que la vie continue dans ce qu'elle a de plus fragile, même en plein hiver, sous la neige. Otsu se remémore Takezo en train d'attraper un poisson dans une rivière, avec les dents. le lecteur peut y voir le fait que Takezo a observé le mode de déplacement du poisson, et l'a assimilé pour faire mieux, ce qui renvoie à l'observation similaire qu'il a faite avec un chat dans le tome précédent.

Le lecteur prend grand plaisir à contempler les différents bâtiments et leur détail, qu'il s'agisse à nouveau d'une magnifique galerie couverte à laquelle il ne manque pas une planche, pas une nervure dans le bois, un toit de tuiles représenté avec minutie, le mur d'enceinte de la résidence de Yoshioka, la demeure plus modeste de Koetsu Hon'Ami, avec ses parois coulissantes. Il s'interroge sur la réelle capacité d'isolation de ces constructions par rapport au froid de l'hiver.

Takehiko Inoué enchante à nouveau avec ses vues de la ville, aérienne, ou dans la rue, montrant l'ampleur de la cité, mais aussi la couverture partielle de neige. Lorsque Musashi va en reconnaissance au temple Rengeo'In, le lecteur peut apprécier les détails du bâtiment (à nouveau une magnifique galerie couverte), mais aussi la manière dont l'artiste met en rapport l'individu avec la taille du bâtiment. Il sourit en découvrant une simple case consacrée à un pied dans une sandale de corde, motif visuel récurrent dans cette série. Il retrouve des ustensiles spécifiques au Japon, tels que le nécessaire à la cérémonie du thé (chapitre 194), jusqu'au chasen koyō (le fouet).

Si Takehiko Inoué se montre constant dans son approche graphique, ce n'est pas pour autant qu'il se répète. Il n'utilise pas de raccourcis graphiques pour s'économiser, apportant toujours le même degré d'application pour la représentation des bâtiments, des intérieurs, des tenues vestimentaires, etc. le récit continue d'évoluer et les dessins également. Par rapport au tome précédent, l'artiste est revenu à des traits plus fins, pour représenter des actions plus mesurées et plus réfléchies, que dans le tome précédent.

Parmi ces chapitres, le lecteur peut être plus touché par le naturel des postures, le langage corporel, ou par des actions particulières. Il est possible de citer les gestes mesurés de Koetsu Hon'Ami lorsqu'il manipule les sabres de Musashi. Par le choix des gestes représentés, Takehiko Inoué montre au lecteur (sans avoir besoin de l'expliciter avec des mots) qu'il s'agit d'un individu qui porte un intérêt (et un respect) tout professionnel à l'objet qu'il manipule. Cet aspect de la narration est porté et contenu dans les dessins, sans qu'il soit besoin d'explications supplémentaires.

Un autre passage remarquable se situe dans le premier épisode, avec le coup fatal porté par Musashi. Il le dit lui-même par la suite qu'il ne se souvient pas du détail de ce coup, de l'enchaînement des mouvements et de l'anticipation psychique qui lui a permis de le concevoir. Par contre, le résultat est pleinement visible par le lecteur. À l'évidence l'intention de l'auteur est de mettre en évidence la singularité technique de ce coup porté, par le biais de la blessure résultante. Pour le lecteur, le résultat est effectivement très impressionnant, tellement qu'il défie l'entendement. Il semble inconcevable qu'une lame puisse trancher ainsi chair et os avec une telle netteté.

Pour être honnête, le lecteur apprécie que ce combat entamé à la fin du tome précédent connaisse une fin rapide, et que l'intrigue puisse reprendre son court. C'est même révélateur de la nature de l'intérêt du récit. Il y a belle lurette que l'attrait de cette série ne réside plus exclusivement dans les affrontements au sabre, ni même de manière majoritaire. Alors que Takezo Shinmen avait pour objectif de devenir le meilleur bretteur du Japon (objectif toujours d'actualité pour Miyamoto Musashi), l'auteur a su élargir le champ de son récit pour montrer que l'enjeu de l'affrontement dépasse la simple vie des combattants. Musashi n'y voit toujours qu'une quête de la progression technique et spirituelle. le fait que d'autres rônins souhaitent se mesurer à lui atteste de l'augmentation de ses compétences de bretteur et de sa renommée. Les stratégies échafaudées par les 10 meilleures lames du dojo Yoshioka montrent que l'issue de l'affrontement avec Dhenshichiro Yoshioka met en jeu le mode de vie de nombreuses personnes, aux intérêts divers.

Ce rapport entre la montée en compétence de Musashi et les conséquences sur les personnes qui forment la société autour de lui devient un enjeu narratif plein de suspense. Comme dans le tome précédent, l'auteur continue à mettre en scène une distribution importante dont les actes soit sont amenés à avoir des conséquences sur la vie de Musashi, soit constituent une forme de miroir plus ou moins déformant de son propre parcours. le lecteur retrouve donc Matahachi Hon'Iden, toujours en train de faire fructifier sa réputation usurpée sur le dos de Kojiro Sasaki.

Par la force des choses, les limites de l'imposture de Matahachi Hon'Iden commencent à se faire sentir et il se retrouve confronté aux conséquences de sa vie dissolue. le lecteur peut apprécier toute la subtilité de la construction de ce personnage, l'intelligence de l'interprétation que Takehko Inoué. Alors qu'il serait possible de le réduire à un simple dispositif narratif, une caricature de tout ce qu'il ne faut pas faire, un mélange puant de lâcheté morale, de faiblesse psychologique, et de laisser faire irresponsable, l'auteur a montré comment ce personnage a fait ces choix, de telle manière à ce que l'empathie continue de fonctionner avec le lecteur, ce qui n'était pas un pari gagné d'avance. Certes, on ne peut que condamner les actes de ce personnage sur le plan moral, mais il n'est pas impossible de ressentir un peu de pitié, et même de respect. Inoué a su montrer comment il s'est retrouvé aux côtés d'un individu aux capacités dépassant l'ordinaire, et dépassant les siennes, et comment il s'est heurté à ses propres limites, voyant bien qu'il ne ferait jamais mieux que Musashi, ni même aussi bien, et de loin.

Le lecteur retrouve également le véritable Kojiro Sasaki qu'il a suivi pendant 6 tomes précédemment. Dans une de ces coïncidences peu plausibles, mais indissociables de la forme narrative du feuilleton, il se retrouve hébergé non loin de Miyamoto Musashi. Dans cette maisonnée, il séduit la jeune fille de la maison et couche avec elle. le lecteur s'interroge sur le rôle très caricatural que l'auteur attribue aux femmes. Dans le tome précédent, elles étaient réduites à la fonction de prostituée pour le bénéfice de Seijuro Yoshioka et Matahachi Hon'Iden. Ici, la première sert à nouveau de gratification sexuelle pour Kojiro Sasaki, et l'autre de réconfort affectif pour Denshichiro Yoshioka. Pour le moment, cette histoire ne passe pas le test de Bechdel.

Dans ce tome, le lecteur découvre une autre facette du talent artistique de Musashi : la peinture. Alors qu'il sculptait des figurines dans du bois dans le tome précédent, ici il réalise des peintures au pinceau détourant des formes à l'eau (sans encre). le sens de cette séquence reste cryptique. Peut-être sera-t-il développé par la suite ?

Dans ce tome, Takehiko Inoué continue de mettre en scène des personnages bien étoffés, à la fois sur le plan de leur histoire personnelle, mais aussi sur celui de leur motivation. le lecteur suit toujours avec intérêt les combats de Miyamoto Musashi, tout en se passionnant pour les ramifications et les conséquences de l'amélioration de ses compétences.
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