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Critique de Biblioroz


Bien loin, très loin de notre temps, dans l'Angleterre médiévale qui suit la légende arthurienne, une communauté de Bretons vivait là, dans cette contrée plutôt lugubre d'après l'auteur. Parfois, du vaste marécage environnant, sortaient des ogres émergeant de la brume. Des logis, creusés dans la colline, formaient un labyrinthe avec une salle commune où un grand feu flambait pour réchauffer les différentes chambres. Celle d'Axl et de Béatrice, un vieux couple uni, se trouvait au fond du souterrain. Ici, ils sont considérés comme un couple stupide, interdit de s'éclairer d'une bougie, la vieillesse pouvant conduire à un éventuel départ de feu.
Dans cette communauté, pas d'évocation du passé, mais Axl se tourmente sur des personnes désormais absentes mais qu'il est bien persuadé d'avoir connues. Sont-ce des inventions découlant d'un esprit vieilli et embrumé ? Des restes de rêves ? Une mémoire qui devient confuse ?
Pourtant, tout le monde semble oublier les évènements et jusqu'aux êtres qui ont marqué les jours précédents et les années passées. Alors Axl décide qu'avec sa princesse, ils doivent sans délai accomplir le voyage longtemps repoussé qui doit les mener au village de leur fils. Pourquoi ne pas y avoir songé avant ? Même si aucune image du fils ne traverse leur mémoire, malgré les efforts à tous deux pour faire ressurgir leurs souvenirs, ils préfèrent aller le rejoindre. Tous les épisodes de leur vie commune sont comme mangés par la brume. Quelle peut être l'origine de cette brume qui prend en otage le passé ?

Kasuo Ishiguro nous pousse alors vers une bien étrange et envoûtante quête. Son féérique talent de conteur tente de nous perdre dans ce voyage aux accents de légende, d'histoire, de superstitions. Mais l'on se doute bien que tous les éléments, toutes les rencontres, tout ce cheminement vont nous ouvrir les portes de réflexions plus profondes.

La première étape du périple de nos deux Bretons, pour s'abriter d'un orage, me laisse immédiatement perplexe. Mais où de telles singularités de la part de l'auteur peuvent-elles nous mener ? Je baigne dans une ambiance de conte qui flirte avec le sordide, dans une villa en ruines qui abrite, d'un côté, une vieille femme agrippant un lapin sur la gorge duquel elle maintient fermement un couteau, et dans un autre recoin un homme de haute taille, batelier de son état, qui nous fait part de sa détresse. L'étrangeté manifeste de cette halte trouvera pourtant tout son sens à la fin du voyage.
Même si l'auteur semble s'attarder quelque peu sur le trajet, je n'ai pu résister à l'envie de déceler toutes les allégories qu'il nous fait rencontrer en chemin, tout en partageant la tendresse qui unit ce vieux couple.
Après le passage de la Grande Plaine, ils arrivent chez les Saxons et repartent accompagnés d'un guerrier et d'un jeune garçon. Plus loin, ce sera la rencontre avec un ancien chevalier du roi Arthur dont la côte de maille toute rouillée grince à chaque pas. Et ces pas grinçant vont nous mener vers une dragonne, tout en gardant à l'esprit qu'il est impératif pour Béatrice de recouvrer tous ses souvenirs. Mais est-ce réellement une bonne chose que la brume se dissipe ? Cette dissipation ne va-t-elle pas mettre en lumière des actes répréhensibles, des discordes qu'il serait plus sage d'oublier ?

Oui, le voyage est osé, complètement atypique, nous plongeant même dans une rivière maléfique où grouillent des elfes sauvages, mais quel voyage merveilleux dans la prise de conscience sur la mémoire et le passé qui s'y rapporte, sur les aléas de la vie de couple et l'amour inaltérable, sur la fragilité de la paix lorsque l'esprit de conquête ne meurt jamais, sur l'envie de vengeance ou de pardon et sur la fin qui nous attend tous.

Dans une enveloppe marquée d'imaginaire Kazuo Ishiguro évoque incomparablement des chapitres de nos propres vies.
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