AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Cancie


Cancie
17 septembre 2021
Difficile de résumer un tel bouquin comme il a été difficile à Philippe Jaenada de résumer l'histoire de ce jeune garçon de onze ans, Luc Taron, enlevé à Paris un soir du printemps 1964 et dont le corps a été retrouvé le lendemain au matin dans le bois de Verrières, dans l'Essonne.
Ce fait divers dénommé « l'affaire de l'Étrangleur » défraya la chronique en 1964. Progressivement, insidieusement, les soupçons vont se porter, injustement, mais inévitablement sur les parents jusqu'à l'entrée en scène de Lucien Léger. Celui-ci revendique en effet le meurtre dans des courriers signés « l'étrangleur » et à force de fanfaronnade finit par être arrêté.
Ce jeune homme ordinaire, infirmier, né en 1937, marié à Solange en 1959 avoue le meurtre.
Son procès se déroulera du 3 au 7 mai 1966 devant la cour d'assises de Seine-et-Oise. le verdict tombe : Réclusion criminelle à perpétuité. Soudain, revirement de Lucien Léger qui opère une brusque volte-face: « Monsieur le Président , vous venez de commettre une erreur judiciaire ! », et de déclarer que s'il est bien l'auteur des 56 messages, il n'a rien à voir avec le drame.
Condamné sans réelles preuves, sans témoins et de plus sans mobile, il sera mis à l'écart de la société pour le reste de sa vie.
Certes, comme le dit l'auteur, rien n'est simple dans cette histoire. Quel travail, quelle persévérance et quelles recherches archivistiques, tout comme d'ailleurs dans ses deux précédents ouvrages que sont La petite femelle et La serpe, Philippe Jaenada a dû fournir pour nous offrir un bouquin d'une telle densité avec une analyse aussi précise et minutieuse, révélant les failles du dossier et toutes les incohérences de cette affaire. C'est presque à la fabrication d'un coupable qu'il nous est donné d'assister, même si Lucien Léger, ce mythomane, a contribué à embrouiller l'histoire. L'écrivain reconnaît que le livre écrit par Stéphane Troplain et Jean-Louis Ivani « le voleur de crimes » lui a été plus qu'utile dans ses recherches.
En s'attelant à cette tâche qui consiste à examiner, à éplucher, à analyser tous les faits, tous les articles, toutes les lettres, toutes les archives possiblement consultables, recouper tout ça, une tâche de titan, pour tenter de cerner la personnalité de Lucien Léger et savoir qui pourrait être le meurtrier du petit Luc Taron, Philippe Jaenada n'hésite pas à désigner comme responsable de ce fiasco, de cette injustice, de ce scandale, Maurice Garçon, le plus grand avocat du XXe siècle. Il nous invite également à une véritable plongée au coeur de ces années 1960, une époque qui pouvait aussi être sombre.
Tous les protagonistes de cette affaire, à des degrés différents, présentent des zones obscures. Seule, Solange, l'épouse de Lucien Léger, cette jeune femme à qui l'auteur réserve la troisième et dernière partie de son roman, peut apparaître comme un rayon de lumière, et pourtant, rien ne lui sera épargné dans sa douloureuse et brève vie.
Pour atténuer cette noirceur et nous extraire quelques instants de cette atmosphère pesante et menaçante où gravitent des monstres comme l'écrit Lucien léger lui-même dans un de ces courriers : « Je suis de la graine qui pousse au printemps des monstres », l'auteur se tourne vers la dérision, se mettant en scène lui-même, nous permettant par ses digressions d'échapper à ce malaise ambiant. Très vivantes également, et très pertinentes, ces petites remarques et réflexions notées entre parenthèses, exprimant son avis personnel.
Philippe Jaenada parvient au fil de l'enquête, par son investigation au coeur de cette affaire qualifiée de résolue, à nous faire carrément douter de la culpabilité de celui qui fut dénommé l'Étrangleur.
L'homme étant décédé, nous nous prenons à espérer qu'un jour peut-être, un procès en révision pourrait avoir lieu… le rêve n'est pas interdit. En tout cas, il est difficile de sortir indemne de cette lecture et ce roman me hantera longtemps.
Petite anecdote personnelle : j'ai été pour le moins surprise et émue, lorsque Philippe Jaenada se trouve à enquêter sur André Cotte, dont le nom apparaît dans une lettre du procès. Adjoint au chef des FFI Vercors, restant à leurs côtés jusqu'en septembre 1944, André Cotte s'illustre lors des bombardements de la Chapelle-en-Vercors. Il reprend ensuite son métier d'enseignant. « le collège de Saint-Vallier, dont il a été nommé principal en 1966, porte aujourd'hui son nom, et ce n'est que justice... » Que de souvenirs pour moi, qui justement en 1966, suis entrée en quatrième dans ce collège tout neuf !
Au printemps des monstres, est un gros pavé de 750 pages, un investissement énorme à n'en point douter pour son auteur, bouquin lourd pour de nombreuses raisons, écrit pour un homme qui s‘appelait Léger et l'était pourtant si peu…, que je ne pourrai oublier de sitôt !

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
Commenter  J’apprécie          16119



Ont apprécié cette critique (138)voir plus




{* *}