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Difficile de résumer un tel bouquin comme il a été difficile à Philippe Jaenada de résumer l'histoire de ce jeune garçon de onze ans, Luc Taron, enlevé à Paris un soir du printemps 1964 et dont le corps a été retrouvé le lendemain au matin dans le bois de Verrières, dans l'Essonne.
Ce fait divers dénommé « l'affaire de l'Étrangleur » défraya la chronique en 1964. Progressivement, insidieusement, les soupçons vont se porter, injustement, mais inévitablement sur les parents jusqu'à l'entrée en scène de Lucien Léger. Celui-ci revendique en effet le meurtre dans des courriers signés « l'étrangleur » et à force de fanfaronnade finit par être arrêté.
Ce jeune homme ordinaire, infirmier, né en 1937, marié à Solange en 1959 avoue le meurtre.
Son procès se déroulera du 3 au 7 mai 1966 devant la cour d'assises de Seine-et-Oise. le verdict tombe : Réclusion criminelle à perpétuité. Soudain, revirement de Lucien Léger qui opère une brusque volte-face: « Monsieur le Président , vous venez de commettre une erreur judiciaire ! », et de déclarer que s'il est bien l'auteur des 56 messages, il n'a rien à voir avec le drame.
Condamné sans réelles preuves, sans témoins et de plus sans mobile, il sera mis à l'écart de la société pour le reste de sa vie.
Certes, comme le dit l'auteur, rien n'est simple dans cette histoire. Quel travail, quelle persévérance et quelles recherches archivistiques, tout comme d'ailleurs dans ses deux précédents ouvrages que sont La petite femelle et La serpe, Philippe Jaenada a dû fournir pour nous offrir un bouquin d'une telle densité avec une analyse aussi précise et minutieuse, révélant les failles du dossier et toutes les incohérences de cette affaire. C'est presque à la fabrication d'un coupable qu'il nous est donné d'assister, même si Lucien Léger, ce mythomane, a contribué à embrouiller l'histoire. L'écrivain reconnaît que le livre écrit par Stéphane Troplain et Jean-Louis Ivani « le voleur de crimes » lui a été plus qu'utile dans ses recherches.
En s'attelant à cette tâche qui consiste à examiner, à éplucher, à analyser tous les faits, tous les articles, toutes les lettres, toutes les archives possiblement consultables, recouper tout ça, une tâche de titan, pour tenter de cerner la personnalité de Lucien Léger et savoir qui pourrait être le meurtrier du petit Luc Taron, Philippe Jaenada n'hésite pas à désigner comme responsable de ce fiasco, de cette injustice, de ce scandale, Maurice Garçon, le plus grand avocat du XXe siècle. Il nous invite également à une véritable plongée au coeur de ces années 1960, une époque qui pouvait aussi être sombre.
Tous les protagonistes de cette affaire, à des degrés différents, présentent des zones obscures. Seule, Solange, l'épouse de Lucien Léger, cette jeune femme à qui l'auteur réserve la troisième et dernière partie de son roman, peut apparaître comme un rayon de lumière, et pourtant, rien ne lui sera épargné dans sa douloureuse et brève vie.
Pour atténuer cette noirceur et nous extraire quelques instants de cette atmosphère pesante et menaçante où gravitent des monstres comme l'écrit Lucien léger lui-même dans un de ces courriers : « Je suis de la graine qui pousse au printemps des monstres », l'auteur se tourne vers la dérision, se mettant en scène lui-même, nous permettant par ses digressions d'échapper à ce malaise ambiant. Très vivantes également, et très pertinentes, ces petites remarques et réflexions notées entre parenthèses, exprimant son avis personnel.
Philippe Jaenada parvient au fil de l'enquête, par son investigation au coeur de cette affaire qualifiée de résolue, à nous faire carrément douter de la culpabilité de celui qui fut dénommé l'Étrangleur.
L'homme étant décédé, nous nous prenons à espérer qu'un jour peut-être, un procès en révision pourrait avoir lieu… le rêve n'est pas interdit. En tout cas, il est difficile de sortir indemne de cette lecture et ce roman me hantera longtemps.
Petite anecdote personnelle : j'ai été pour le moins surprise et émue, lorsque Philippe Jaenada se trouve à enquêter sur André Cotte, dont le nom apparaît dans une lettre du procès. Adjoint au chef des FFI Vercors, restant à leurs côtés jusqu'en septembre 1944, André Cotte s'illustre lors des bombardements de la Chapelle-en-Vercors. Il reprend ensuite son métier d'enseignant. « le collège de Saint-Vallier, dont il a été nommé principal en 1966, porte aujourd'hui son nom, et ce n'est que justice... » Que de souvenirs pour moi, qui justement en 1966, suis entrée en quatrième dans ce collège tout neuf !
Au printemps des monstres, est un gros pavé de 750 pages, un investissement énorme à n'en point douter pour son auteur, bouquin lourd pour de nombreuses raisons, écrit pour un homme qui s‘appelait Léger et l'était pourtant si peu…, que je ne pourrai oublier de sitôt !

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Au printemps des monstres, ce livre m'a pris beaucoup de temps pour le lire. J'ai ressenti parfois de la lassitude mais, paradoxalement, je le referme presque à regret.
Je n'ai pas dénombré tous les personnages croisés au cours d'une histoire qui tourne autour de l'assassinat de Luc Taron (11 ans), le 26 mai 1964. Ils sont nombreux, fugaces pour certains, devenus célèbres pour d'autres, mais tout s'articule évidemment autour de Lucien Léger, connu sous le terme qu'il s'était attribué lui-même dans ses messages précédant son arrestation : L'Étrangleur.
Précision utile, Luc Taron n'est pas mort étranglé et là, commencent les doutes, les invraisemblances et les complications infinies d'une affaire jamais vraiment élucidée et dont certains éléments ont disparu des différents dossiers.
Philippe Jaenada, comme il l'a fait dans ses romans précédents que j'ai lus, pour Pauline Dubuisson dans La petite femelle puis pour Henri Girard, dans La serpe, ne laisse aucun détail de côté. Il se rend sur les lieux, tous les lieux où ont vécu les personnages dont il parle, sans oublier, ce qui détend bien la tension d'une lecture peu réjouissante, sans oublier de confier ses soucis de santé, ses moyens de déplacement, sa lutte contre son tabagisme et surtout en faisant partager ses émotions, son ressenti.
D'emblée, il m'apprend qu'il est né à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), le 25 mai 1964, quelques heures avant la découverte du corps de Luc Taron, dans le grand bois de Verrières (Essonne). D'ailleurs, il s'y trouve, dans ce bois, à 4 h du matin, à la même date, cinquante-cinq ans après sa naissance, pas très loin du lieu où il a vu le jour.
Trois grandes parties constituent son récit passionnant et fort bien documenté : le fou, Les monstres et Solange. Malgré la longueur des chapitres, il a su ménager une utile respiration agrémentée de quelques citations édifiantes tirées de la presse, d'autres livres ou de déclarations à la radio ou à la télévision.
Régulièrement, Philippe Jaenada que j'ai écouté très attentivement aux récentes Correspondances de Manosque, rend hommage, remercie Stéphane Troplain et Jean-Louis Ivani pour leur livre, le Voleur de crimes (édition du Ravin bleu, 2011). Avant lui, ils ont enquêté, fouillé dans cette histoire bien compliquée et rencontré, parlé avec Lucien Léger, après sa libération de prison, avant sa mort. Il salue régulièrement aussi l'aide efficace de Wats, Letizia Dannery ainsi que bien d'autres dont, et avant tout, Anne-Catherine, son épouse.
Le fou est bien sûr consacré au détail des événements. le fou en question se nomme Lucien Léger et il s'attribue un crime qu'il n'a sûrement pas commis et pour lequel il a été condamné à perpétuité. Il avait d'abord reconnu les faits pour protéger une ou plusieurs personnes puis s'était rétracté juste avant le procès, la peine de mort pouvant être au bout… Après quarante-et-un ans d'enfermement, il sort de la prison de Douai, dans la nuit du 2 au 3 octobre 2005. Il est mort en juillet 2008, à 71 ans.
Quand Philippe Jaenada aborde Les monstres, commence l'étude détaillée des invraisemblances, des détails importants laissés de côté et surtout du rôle des principaux protagonistes qui sont, eux, les véritables monstres.
L'auteur ne ménage pas les avocats et met en avant la véritable personnalité de Luc Taron qui n'avait pas de copain. Il raconte la vie de sa mère, Suzanne Brûlé et surtout de celui qui s'affiche comme le père : Yves Taron, « un escroc minable ». Surtout, il y a ce Jacques Salce qui a un alibi trop beau pour la nuit du crime et dont le nom reviendra souvent ensuite.
Enfin, Philippe Jaenada nous parle de Solange, l'épouse de Lucien Léger, dont la photo illustre la couverture du livre. Son histoire est terriblement émouvante car, enlevée à sa mère pour être confiée à l'Assistance publique, elle a su devenir une jeune fille comme les autres. Hélas, sa santé s'est subitement dégradée alors qu'elle allait passer le BEPC (Brevet des Collèges aujourd'hui), en 1955. Tout au long des années qui lui restent à vivre, jusqu'à son décès, à 31 ans, elle consomme beaucoup de médicaments et séjourne régulièrement dans des unités psychiatriques.
Lucien Léger a commencé à correspondre avec elle alors qu'il était soldat en Algérie car il était ami avec son frère. Ils se sont enfin rencontrés, se sont aimés et se sont retrouvés plongés dans la tourmente judiciaire. Ils se sont écrit des quantités de lettres dont l'auteur cite de nombreux passages mais Solange Léger devient la proie de la presse à scandale (Ici Paris, France Dimanche, Détective) qui en fait des tonnes pour vendre du papier. Solange étant dans la misère la plupart du temps, elle tente de monnayer ses confidences vite transformées, hélas, pour appâter le lecteur.
Au printemps des monstres, ce livre m'a demandé beaucoup de temps pour le lire mais beaucoup moins qu'il en a fallu à Philippe Jaenada pour enquêter et écrire, passant en permanence, trois années de sa vie, jour et nuit, pour cette histoire qui n'a jamais vraiment trouvé de solution convaincante. Seule certitude : Lucien Léger n'a pas tué Luc Taron.
Quand, à Manosque, Ghislaine a demandé à l'auteur comment il pouvait sortir indemne après avoir écrit un tel livre, Philippe Jaenada a répondu qu'il n'était pas indemne, plutôt effondré, que, moralement, il n'en sort pas et qu'il y pense tout le temps, précisant qu'une fois de plus, la vérité judiciaire est fausse !

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Faites sortir l'accusé !
Quand Philippe Jaenada s'attaque à un fait divers, vous savez que vous allez y passer aussi le printemps et l'été.
750 pages avec une police microscopique. Excédent de bagages pour le génie de la digression !
Pour lire ce monstre dans un avion, au choix, il faut soit réserver un second siège, soit sacrifier la valise réservée aux quinze paires de chaussures de madame, soit abandonner un gamin dans le hall de l'aéroport et balancer le second dans la soute de l'appareil (on a pris la troisième option, bien entendu). Il faut surtout choisir une destination lointaine, genre Pluton, pour boucler, non pas la ceinture mais cette lecture maniaque.
En 1964, le corps du petit Luc Taron, onze ans est retrouvé dans une forêt. Des courriers, signés « L'Etrangleur », revendiquent à de multiples reprises cet assassinat et attisent la curiosité de l'opinion publique. L'auteur des lettres est identifié, arrêté et jugé. Emballé, c'est pesé. Pas vraiment.
Lucien Leger va passer 41 ans en prison pour ce crime qu'il n'a peut-être pas commis. Hondelatte en bave. L'auteur va reprendre tout le dossier, se rendre sur les lieux du crime, disséquer la vie de tous les protagonistes de l'affaire et s'appuyer sur une enquête référence de deux journalistes qui date de 2012 et qui a remis en cause la culpabilité du plus ancien détenu de France.
L'analyse est aussi minutieuse que brillante mais j'ai eu l'impression que Philippe Jaenada s'est mis une telle pression pour être à la hauteur de l'enquête réalisée par Stéphane Troplain et Jean-Louis Ivani qu'il inonde le lecteur d'un tsunami de détails au détriment de sa prose. le Leger devient parfois un peu lourd. Il ne manque que la pointure de la coiffeuse du juge et le plat préféré du cousin au deuxième degré de la victime. L'arbre généalogique de tous les témoins remonte presque aux Carolingiens. J'exagère, oui, mais pas autant que Philippe Jaenada. Si le diable se cache dans les détails, l'enfer, c'est ici.
J'ai lu(tté) un mois durant sans abandonner cette lecture car j'adore les parenthèses enchantées de l'auteur, ces moments où il glisse sa petite histoire personnelle, ses tracas de santé, ses souvenirs d'enfance et ses commentaires ironiques. La marque Jaenada. Label rouge vif. Des respirations inspirées pour fuir l'expiration.
Je n'ai pu que me passionner aussi pour cette histoire que l'on pourrait réduire à un bal des menteurs. Tous les personnages sont troubles et trainent des casseroles taillées comme des marmites. Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre... Ils préfèrent se laisser tomber. Côté victime, le vernis de la famille modèle craque dès les premières investigations, l'accusé ment pour entretenir sa popularité morbide, sa compagne collectionne les internements, des comploteurs complotent dans la compote, des résistants de la dernière minute collaborent, avocats et juges ne se compliquent pas trop la vie. le roman décrit aussi très bien le poids de l'opinion et des médias… et il se déroule en 1964. Tout le monde joue plus son personnage qu'il ne le vit.
Ce roman, c'est une rentrée littéraire à lui tout seul, la Comédie Humaine en un seul tome, un bottin qui n'a rien de mondain, que son éditeur aurait dû un peu plus épurer.
Les trois derniers romans de Philippe Jaenada suffisent à remplir une bibliothèque.
Une lecture qui relève de la performance.

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En 1964, un petit Parisien de onze ans, Luc Taron, disparaît et est retrouvé mort dans une forêt de proche banlieue. Un corbeau, s'identifiant comme « L'Etrangleur », revendique son assassinat dans une série de très étranges courriers aux médias, à la police et aux parents. Arrêté au bout d'un mois, l'homme, qui s'appelle Lucien Léger et est infirmier, avoue le meurtre et est condamné à la réclusion à perpétuité.


Il avait vingt-sept ans au moment des faits. Il ne sortira de prison que quarante-et-un an plus tard, au terme de la seconde détention la plus longue d'Europe. Revenu sur ses aveux au milieu de mille contradictions, il ne démordra plus jamais de son innocence. Ce n'est qu'en 2012, quatre ans après sa mort, que des doutes quant à sa culpabilité sont émis par deux journalistes, dans un livre évoquant un Lucien Léger qui se serait faussement accusé par besoin pathologique de reconnaissance. Philippe Jaenada revient sur cette affaire, et, après quatre ans d'enquête et d'écriture, nous livre sa propre analyse et ses multiples interrogations. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les zones d'ombre sont légion dans cette histoire qui n'en finit pas d'ébahir son lecteur...


Le travail de Philippe Jaenada est impressionnant d'exhaustivité et de précision. Il s'est rendu sur tous les lieux, a épluché tous les documents, s'est entretenu avec toutes les personnes pouvant apporter un éclairage sur cette histoire vraie, dont il apparaît que l'on n'a très opportunément retenu que le versant qui arrangeait les protagonistes de l'époque. Et si la première partie du récit, consacrée à une restitution fidèle et minutieuse des événements connus et retenus par les médias, la police et la justice, stupéfie par l'apparence monstrueusement délirante des actes et des comportements de Lucien Léger, c'est une version bien différente, dissipant cette fois toute impression de folie et de perversion, mais menant à une consternation tout autant sidérée face à la probabilité de l'erreur judiciaire, que la suite du livre s'emploie à mettre au jour.


Contre-enquête et réexamen du moindre détail, complétés d'une exploration tristement édifiante de cette histoire vue par la malheureuse épouse de Lucien Léger, semble-t-il indûment internée en asile psychiatrique, ont tôt fait de nous convaincre, à défaut de preuves opposables à des protagonistes aujourd'hui décédés, que rien dans cette affaire n'est conforme à ce que l'on a bien voulu en retenir, et que les plus coupables, les plus fous et les plus monstrueux, n'y sont sans doute pas ceux que l'on a condamnés et enfermés.


Minutieuse, exhaustive, l'investigation de Philippe Jaenada nous tient en haleine sur près de huit cent pages, entre étonnement, indignation et consternation, mais aussi, pour notre plus grand plaisir, de sourires en éclats de rire : commentaires railleurs, digressions pleines d'auto-dérision faisant écho à l'actualité générale ou personnelle de l'auteur, viennent plaisamment alléger le texte, au gré de drôles de parenthèses imbriquées comme des poupées russes.


C'est donc presque autant amusé par les anecdotes et le style, que tristement troublé par cette justice aux allures de loterie dénoncée par l'un des avocats de Lucien Léger, par ces apparences dont notre société tend souvent trop hâtivement à se satisfaire, et par le triste sort de ce couple condamné, manifestement à tort, à cette mort lente qu'a été leur détention vraiment à perpétuité - en prison pour lui, en asile psychiatrique pour elle -, que l'on s'installe longuement dans cette lecture coup de coeur.

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Philippe Jaenada prétend avoir dû se tourner vers la littérature du réel parce que sa vie devenue trop plan-plan ne lui permettait plus d'écrire des romans à forte connotation autobiographique. Ouais. Ouais. J'ai une autre théorie. Parce que dans son avant-dernier roman, « Plage de Manaccora, 16h30 », le héros est un écrivain nommé Voltaire. Et très clairement, Jaenada a décidé de se prendre pour l'illustre philosophe des Lumières. Même goût pour les cold cases et les réhab' (Henri Girard et Lucien Léger valant bien le Chevalier de la Barre ou le vieux Calas), même rage devant l'injustice, même ratiocinations sur les problèmes de santé qui les occupent à leur corps défendu, et bien sûr, même recours à la logique et à l'ironie pour pourfendre les sots, les méchants et les cyniques. Jean Calas n'a pu tuer son fils ne seul ni avec des complices : ça doit même être pour ça qu'il est innocent. Jacques Salce lui, est parfaitement coupable, au moins d'être un nazi, même si « au lieu de conserver son orgueil et sa confiance de pionnier, il s'est pissé dessus et a fait tout ce qu'il pouvait jusqu'à sa mort, en pleurnichant, pour qu'on le prenne pour un grand résistant ». Et, il faut le dire, j'ai beaucoup, beaucoup plus ri en lisant « Au printemps des monstres » qu'en compulsant le « Traité sur la tolérance », et pas seulement parce que le premier, en nombre de pages, fait 10 fois le second.
Bon, Jaenada se prend pour Voltaire, c'est sûr, pourtant c'est à un autre écrivain que je n'ai cessé de penser. L'homme qui digresse, qui va à sauts et à gambade, qui n'écrit que par allongeails sans jamais supprimer une version antérieure : il y a du Montaigne chez Jaenada !
Comme lui, il transforme une chronique par l'ajout d'un substrat autobiographique. Comme lui, il ne retranche jamais rien à son texte mais ne cesse de le commenter au point de toujours sembler surpris par son lecteur au moment même de l'écriture (par exemple, après avoir cité le personnage d'Emma Peel, incarnée par Diana Rigg, il note « À la relecture : qui vient de mourir ». Ou bien, il râle contre une avocate qui ne répond pas à ses demandes et fait amende honorable quand elle se manifeste enfin, concluant « (Je pourrais effacer ce que j'ai écrit plus haut, mais non. Je l'ai attendu six mois, ce mail, quand même.) ». Et, tandis que Montaigne se nourrit des stoïciens qu'il pille et surtout met en pratique car les livres sont faits pour être vécus, Jaenada aussi s'est donné des maîtres qu'il cite encore et toujours : Troplain et Ivani qui, les premiers, ont écrit un livre sur les incohérences de l'affaire Taron mais aussi Modiano, qu'il croise sans cesse dans cette affaire hors-norme à laquelle est mêlé de loin le père de l'écrivain, au point qu'on finit par ne plus savoir si c'est la littérature qui imite la vie, ou l'inverse.
Et surtout, Jaenada , par l'écriture, ne cherche-t-il pas, tout comme son illustre devancier, à apprivoiser la mort ?
Plus il parle des protagonistes de son histoire, plus il s'émeut de modestes points communs qu'il découvre (« le 25 mai, elle est confiée à la paroisse catholique de Saint-Potin (c'est ma date anniversaire et je travaille à Voici, il n'y a pas de hasard »). Jusqu'à, en lisant les lettres de Solange, dont la photo orne la couverture du livre, s'exclamer « [Solange aime bien les parenthèses.] »
(Sujet de thèse pour mes vieux jours : explorer l'utilisation différenciée des parenthèses et des crochets dans ce fichu bouquin)
Jaenada parle de vies injustement fracassées et s'identifie à elles : c'est sa façon de conjurer le sort. Ou de s'entraîner à vivre la tragédie qui nous pend tous au nez, par excès de cholestérol, grosse colère d'un éditeur exaspéré mettant à mort son poulain ou irruption du rouleau compresseur de l'injustice : « Je ne suis pas mort – joie. (j'aime (façon de parler) penser, en écrivant, en regardant mes doigts bouger sur le clavier (il faut que je me coupe les ongles) qu'un jour, dans quelques années (ou dans trois semaines), un lecteur dans son lit à Bastia, une lectrice dans un TGV vers Lyon, liront les premiers mots de ce chapitre et penseront : « Ben si. ») »
Alors voilà. le petit Luc Taron est mort. Solange est morte. Lucien Léger aussi. Et Jaenada, à vrai dire, ne se sent pas très bien. Mais il est vivant. Et nous aussi, de nous être indignés et d'avoir ri avec lui.
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L'écrivain Philippe Jaenada donne à son oeuvre littéraire un genre qui lui est propre. Il s'intéresse à des affaires criminelles anciennes et classées – des « cold cases » –, sur lesquelles subsistent des zones d'ombre. Il se lance alors dans des investigations fouillées durant plusieurs mois, allant sur le terrain, épluchant les déclarations des parties prenantes, rencontrant les enquêteurs et les témoins de l'époque – ceux qui vivent encore ! – ratissant les archives de la presse. S'appuyant sur les éléments réunis, il écrit le récit de l'affaire en lui donnant une forme romanesque. Il y met en évidence les discordances et les anomalies de la version officielle, invitant le lecteur à se faire sa propre opinion sur la culpabilité ou l'innocence des prévenus. Il n'oublie pas de se mettre aussi en scène tout au long de ses recherches, avec un sens de l'autodérision qui ne manque ni d'humour ni de narcissisme.

L'arrestation et la condamnation du dénommé Lucien Léger, surnommé l'Etrangleur, ne m'étaient pas inconnues. Bien qu'ancienne, son affaire remontait de temps à autre à la surface : un entrefilet dans la presse écrite, un mot lors d'un journal télévisé, pour mentionner la révision de son procès ou sa libération conditionnelle. Quant au petit Luc Taron, sa victime, je n'ai jamais oublié son nom. J'avais quinze ans en 1964, lorsque son corps fut retrouvé dans une forêt. Nous n'avions pas la télé, je ne lisais pas Le Figaro que recevait mon père, je n'écoutais la radio qu'à l'heure de SLC Salut les copains, et justement, le meurtre était évoqué, très sommairement, lors des flashes d'info d'André Arnaud. le jeudi, j'allais déjeuner chez mes grands-parents, où je me précipitais sur France-Dimanche ou Ici-Paris, des journaux à scandales de l'époque, avec de grandes photos en noir et blanc. J'avais ainsi découvert et gardé en tête le portrait de Lucien Léger, mais je n'avais jamais lu les articles en détail, étant plus intéressé par les potins consacrés à la vie mouvementée de Brigitte Bardot ou de Liz Taylor.

C'est donc dans Au printemps des monstres, sous la plume de Jaenada, que j'ai perçu le climat de psychose hallucinant des débuts de l'affaire, en juin 1964, suscité par la cinquantaine de messages provocateurs adressés par l'Etrangleur à la presse, à la police, jusqu'au ministre de l'Intérieur.

La première partie du livre est consacrée à l'historique intégral de l'affaire, tel qu'on avait pu la vivre en direct : la découverte du corps, les premières enquêtes, les fameux messages, l'arrestation de Léger, sa détention, sa libération quarante-et-un ans plus tard, jusqu'à sa mort, puisqu'après avoir avoué, il s'était rétracté, inventant jusqu'à son dernier jour des scénarios à dormir debout, auxquels personne (ou presque) n'aura cru. Trois cents pages au rythme endiablé, au contenu surprenant et captivant.

Dans une deuxième partie, l'auteur s'attache à démontrer l'irréalisme de la version officielle de l'accusation, ayant conduit au verdict du jury. Il oriente son enquête vers des personnages tiers, minables, plus que troubles et même carrément infects – dont le père de la petite victime –, qui auraient plus ou moins manipulé Léger. Au lecteur de se faire une opinion sur ce qu'il s'est réellement passé la nuit de la mort de l'enfant. Trois cents pages intrigantes, mais touffues et parfois redondantes.

A l'instar de la couverture, la dernière partie de l'ouvrage est curieusement consacrée à Solange, l'épouse de Lucien Léger, une femme de faible constitution, tant au plan physique que psychologique. La compassion très sentimentale qu'éprouve Jaenada pour cette femme morte en 1970 l'amène à lui dédier, comme en hommage à sa destinée si particulière, cent cinquante pages que j'ai fini par trouver ennuyeuses et répétitives.

L'écriture de Philippe Jaenada est simple, accessible, très agréable. Sur un ton décontracté, il multiplie les digressions, usant et abusant de parenthèses, qui ralentissent la lecture en l'aérant. Il y insère le feuilleton de ses démarches personnelles, très approfondies, sur les traces laissées par les personnages cinquante ans plus tôt. Il y glisse le quotidien de sa vie privée, notamment ses problèmes de santé.

Pour conclure en prenant le risque de me répéter, j'ai aimé passionnément la première partie, menée tambour battant ; comme le public de l'époque, j'ai tout pris au premier degré. La deuxième partie, moins fluide, était évidemment incontournable. J'ai des doutes sur l'intérêt de la troisième.

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Philippe Jaenada, le roi de la parenthèse, le prince de la digression, le Zorro de l'erreur judiciaire, le champion de la contre-enquête subjective a, une fois de plus, après Sulak dans... Sulak, Pauline Dubuisson (dans La petite femelle) ou Georges Arnaud (dans La Serpe) enfilé sa cape de défenseur des causes perdues, de pourfendeur patenté d'erreurs judiciaires !

Voilà qu'il entreprend sur plus de 700 pages, de démontrer la probable innocence de Lucien Léger, l'Étrangleur auto-proclamé du petit Luc Taron, qui défraya la chronique de ses lettres fanfaronnes et fit trembler Paris dans le milieu des années soixante, avant de se faire arrêter presque volontairement puis de se rétracter au cours de son procès. Mal défendu par Maurice Garçon qui passa bientôt la main à maître Naud, Léger fut condamné à une peine de prison si longue qu'il mourut trois ans après sa libération sans cesser de proclamer son innocence et d'affirmer qu'il avait, par ses lettres, attiré les regards sur lui afin de protéger l'identité du véritable assassin..
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Une ténébreuse affaire, sans mobile, sans preuve, sans cohérence, sans queue ni tête.

Une gageure pour Jaenada. Mais cette fois j'ai trouvé que le roi de la parenthèse s'y perdait souvent et que la contre-enquête était presque aussi brouillonne et confuse que l'enquête qu'elle était censée clarifier et confondre.

L'atmosphère "modianesque" de l'affaire-faux résistants et vrais collabos, faux pères-la-morale et vrais pervers-pépères-si elle a toute sa place dans une fiction romanesque qui jouerait sur le clair-obscur, n'est pas propice à démêler le vrai du faux dans ce roman du réel, c'est le moins qu'on puisse dire !

Même notre enquêteur préféré,( en Jeep cette fois), qu'on savait porté sur la dive bouteille, s'en méfie maintenant que sa mauvaise santé l'accable de bobos... Les vrais anti héros eux-mêmes ont un coup de vieux...

C'est trop long, répétitif, et on s'épuise à rester un supporter alerte de Jaenada et un lecteur attentif de son pavé ... La personnalité pour le moins ambiguë et mythomane de Léger n'aide pas à l'identification ni à l'empathie :elle en fait un faux coupable peu attachant. Seule la troisième partie dévolue, comme la première de couverture, à Solange, la très jeune épouse de l'Etrangleur, apporte en effet un "point de lumière". Elle se montre forte dans sa fragilité et clairvoyante en dépit de sa prétendue folie.

Mais c'est une découverte bien tardive...

Au printemps des monstres, malgré son titre magnifique, a quelque chose de monstrueux, d'à la fois excessif et inabouti.
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Je me souviens de ces repas gargantuesques que nous faisions en famille dans ma Bresse natale. J'étais enfant, et le déjeuner s'étirait jusqu'en milieu d'après-midi, au milieu des conversations animées et des rires. Pour conclure ce magnifique banquet dominical, ma grand-mère posait, sur la table, l'inévitable Moka. Gâteau fait de crème au beurre, que chacun des invités regardait, non pas avec gourmandise, mais avec embarras. Où trouverions-nous la place pour mettre la part qui nous était destinée ? Nous n'avions déjà plus faim et le dessert que l'on nous proposait, s'avérait des plus lourds à digérer.
C'est à cette pâtisserie que m'a fait penser le nouveau roman de Philippe Jaenada, Au paradis des monstres. Dans mon appétit insatiable de lecteur, j'ai eu du mal à déguster ce livre. Comme pour le pâtissier qui confectionne le fameux Moka, je ne jetterais pas la pierre à l'auteur de ce pavé, Jaenada fait du Jaenada. J'en suis plutôt friand d'habitude. J'aime son style, sa façon de mener les enquêtes, travail acharné, incroyable, méticuleux. Tout est épluché, vérifié, analysé, les témoignages, les courriers, les pv, les comptes-rendus, la presse.
1964, Luc Taron, onze ans, est retrouvé mort dans une forêt.
Un homme, Lucien Léger, s'accusera bientôt du crime.
Philippe Jaenada s'est attaché à reprendre pas à pas l'une des affaires criminelles les plus médiatisées de son époque. Il reprend les faits, tels qu'ils ont été relatés, conduisant un homme pour des dizaines d'années en prison (il sera longtemps le plus vieux prisonnier de France) mais surtout, il tente d'apporter la lumière sur de nombreuses zones d'ombre qui ne semblent pas avoir été exploitées, voire ignorées, en leur temps.
Dans son roman (l'écrivain insiste pour que l'on garde ce terme à propos de son livre), chacun des protagonistes de l'affaire est passé au crible, qu'il soit directement impliqué ou qu'il ait un rôle obscur.
Ce qui rend la lecture de ce "Printemps des monstres" difficile, c'est la densité des informations, les nombreux personnages, on s'y perd parfois. le romancier a pour habitude d'alléger son récit en s'éparpillant, il aime entraîner son lecteur dans des anecdotes personnelles ou l'égarer en sortant du sujet principal. Ici, je ne sais pas si la situation sanitaire imposée (notamment le confinement et les restrictions auxquels il fait parfois allusion) a modifié sa façon d'écrire, mais j'ai trouvé son récit moins aéré, moins drôle que dans ses précédents ouvrages.
Bien sûr on reconnait sa patte et son obsession du travail bien fait, mais il reste que, comme le gâteau précédemment cité, son roman se déguste lentement, très lentement... trop ?
À vous de voir...
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Si vous ne ressortez pas essoré du dernier livre de Philippe Jaenada, c'est que vous avez le souffle d'un coureur de fond !

La dernière « enquête » de l'auteur est encore une fois un monument de documentations, dans son style inimitable, où ses célèbres digressions sur sa santé et son quotidien font figure de respiration dans ce Cold Case fouillé au millimètre.

Après instruction, il apparaît que la sordide affaire très médiatisée du criminel Lucien Léger, condamné pour meurtre d'enfant en 1964 s'apparente à un dossier judiciaire sans doute bâclé ou pour le moins trop vite instruit. Une certitude pour notre enquêteur romancier qui nous le démontre en 700 pages d'instruction, sans pour autant nous rendre sympathique l'individu, plus ancien détenu de France avec 41 ans d'emprisonnement.

Remarquable, passionnant, amusant parfois, décalé souvent... les superlatifs sont légion. Mais s'il fallait faire entendre une petite voix essoufflée: trop long, diablement trop long. C'est d'autant plus vrai que l'auteur s'en doute, en l'évoquant dans quelques lignes amusantes, imaginant son lecteur l'abandonner sur le bord du chemin.

On lui pardonne volontiers devant un talent de plume très personnel et une implication acharnée en recherche de vérité.
Dont acte.
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Au printemps des monstres ne se lit pas facilement, malgré le style plus qu'agréable de l'auteur et son remarquable sens de la narration : Philippe Jaenada a rendu accessible une affaire dont le dossier pesait 19,5 kilogs, avant les recherches entreprises par l'auteur et par ceux qui l'ont devancé.
Le 26 mai 1964, un petit garçon de onze ans, Luc Taron, rentre chez lui. En entendant une réflexion de sa mère, il fait aussitôt demi-tour. le soir, il n'est toujours pas rentré. Croyant à une fugue (il en a déjà fait deux), les parents n'alertent pas immédiatement la police.
Le lendemain, à cinq heures du matin, le corps de l'enfant est retrouvé dans les bois de Verrières-le-Buisson.
Un homme mystérieux revendique l'assassinat, commet des erreurs, est arrêté. Lucien Léger, un infirmier à l'hôpital psychiatrique de Villejuif, avoue le meurtre avant de se rétracter. En 1966, il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Il sortira en 2005, après 41 ans d'emprisonnement. Il mourra en 2008.
Fin de la première partie du livre qui nous replonge au milieu des années 1960, comme si nous avions vécu ces moments, en lisant le journal, comme tout le monde, enfin presque.
Il n'y a pas de mots pour décrire la mort d'un enfant, ils sont tous trop faibles. En revanche, pour ce que nous apprend la deuxième partie, on peut ressortir les mots glaçants, effrayants, sordides et j'en passe.
Un des meilleurs livres de la rentrée littéraire.

Lien : https://dequoilire.com/au-pr..
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