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Critique de MarcelP


Rowland Mallet, rentier et esthète, parie sur l'avenir de cette jeune pousse de Roderick Hudson : il déracine le jeune sculpteur, l'arrache à l'Amérique, à sa mère et à sa fiancée (Mary Garland, une fleur des champs) et le repique dans la riche terre des arts, l'Italie. Ne reste plus qu'à arroser le tendron et attendre qu'il fructifie. Rowland est un mécène patient et attentif, un tuteur bienveillant. Las, Roderick voit son génie se faner à mesure que son amour pour la désirable, mais bien froide, Christina Light (une orchidée en serre) le possède, tel un rameau gourmand. le jeune prodige devient arbre sec, artiste raté et insupportable égotiste.

Dans ce passionnant roman d'analyse, James assigne à Rowland Mallet, le rôle de témoin essentiel : ce sont à travers ses yeux, ses doutes et ses certitudes que nous sera rapportée cette tragédie feutrée. Entomologiste des sentiments, l'auteur épluche les âmes par le biais de longs dialogues serpentins.

Mary aime Roderick qui aime Christina qui aime (peut-être) Rowland qui aime Mary (à moins que ce ne soit Roderick ?) : dans ce chassé-croisé sentimental, point de marivaudages mais plutôt des passions mortifères. Aimer c'est renoncer. Mary sacrifie sa jeunesse, Roderick immole son génie, Christina capitule face aux convenances et Rowland se dépouille de tout espoir.

James croque avec jubilation personnages et situations. Les seconds couteaux sont traités avec justesse et drôlerie : la chétive et geignarde Maman Hudson, qui devient lionne si l'on touche son petit, le touchant et ridicule Singleton, peintre laborieux et talentueux ou encore le croquignolet Striker, tout droit sorti de chez Dickens. Et puis il y a Rome, décor d'une importante partie de ce roman d'apprentissage avorté : de Santa Cecilia in Trastevere à la Villa Ludovisi, c'est à une promenade (dés)enchantée que nous convie l'auteur. Ses héros de papier y errent comme les ombres solitaires des toiles de Chirico.

Quand il se débride, James est carrément bidonnant. Voici ce qu'il écrit à propos de la cupide et grotesque Mrs Light, la génitrice de Christina : "Certaines de ses révérences étaient très profondes, car elle avait la joie de recevoir plusieurs potentats de la haute société romaine. Elle était rose de fierté triomphante, pour ne rien dire d'une cause moins métaphysique (...)". C'est déjà Proust et la mère Verdurin... L'écrivain plutôt pudibond laisse même, deci delà, entrevoir quelques gouffres par sa fascination pour le corps masculin et l'ambiguïté des sentiments éprouvés par ce Pygmalion raté qu'est Rowland.

"L'amour c'est l'infini à la portée des caniches" éructe Céline. Stenterello, l'immaculé caniche royal de la future princesse Casamassima, est le fil (rouge) blanc du roman, il ponctue de sa présence méphitique ce roman très abouti autour de l'art et de l'amour, cette médiocre transcendance à notre portée.
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