Gagner sans l’avoir réellement désiré, alors que des millions de propriétaires de billets priaient, les mains jointes, serrées sur leur espoir: quelle ironie de la vie.
C’était là le geste le plus méchant dont Laurent fut capable envers son amoureuse adultère: la traiter de putain à travers un plat cuisiné pour elle avec amour, enfouir son insulte dans la sauce, l’ensevelir sous une pluie d’olives tranchées. Lancer une tomate sur un tank.
Mieux valait être deux cloportes qu’un papillon seul.
Sofia aussi avait repris sa place. Joli boomerang humain au bois plus lisse, d’une essence plus rare que les autres.
La note de cœur était sucrée et amère, comme le pamplemousse. C’était la note de fond qui posait problème. L’odeur d’un être humain, faite de son sébum, de sa sueur, de ce qu’il mange, boit, respire. Une odeur ambrée, boisée, grasse et poudreuse à la fois. Sa Sofia.
Laurent ferait effectivement quelque chose de fou, de beau, de grandiose, mais seul, pour lui-même, pas pour reconquérir, mais pour survivre: il allait recréer l’odeur d’une femme de mémoire. Il allait sevrer son nez, faire en sorte qu’il n’ait plus jamais besoin de la vraie Sofia.
De tous ses sens, c’était son nez qui criait sa carence, le confinant à un état d’éveil indéfectible.
Malgré ses attributs physiques indéniables, il semblait dépourvu de cette cochonceté, de ce voile qui recouvre parfois les yeux des hommes et fait marcher leur cerveau à l’envers. Laurent était exempt de lasciveté, de ce petit quelque chose qui n’a rien à voir avec la beauté et qui amène les ovaires des filles à applaudir sur votre passage. De lui n’émanaient qu’innocence et pureté.
Laurent appartenait à cette rare catégorie de gens n’utilisant pas l’alcool comme prétexte ou comme lubrifiant social.
Que les Laboratoires Odosenss siègent justement au troisième étage de l’immeuble, Laurent le verrait comme un signe que lui seul pouvait comprendre, un clin d’œil de cette mère qui lui avait tout donné, qui n’avait plus su remplir le vide une fois son fils entré à la petite école, qui avait d’abord perdu l’envie d’être belle, puis l’envie d’être, tout court.
Laissant derrière elle un Nez.