Si les ombres d'
Alexandre Dumas et de
Paul Féval, ces grands pionniers du roman de cape et d'épée, planent ostensiblement, sur ce roman,
Charles Joliet y apporte un caractère nouveau et résolument expérimental. Tour à tour histoire d'amour, évocation symboliste et roman-feuilleton, «
Aurore » est un curieux collage qui a dû quelque peu décontenancer son public. D'abord, parce que même à l'époque de sa parution, le roman s'inscrivait dans un genre littéraire qui glorifiait le XVIIIème siècle, et où
Charles Joliet impose une assez stupéfiante noirceur et une contestation extrêmement dure de l'Ancien Régime. Ensuite, après une évocation presque surnaturelle du comte de
Saint-Germain, Joliet enchaîne avec un portrait à charge extrêmement cruel de la marquise de Pompadour, qui est décrite comme une sorte de démon femelle, décharné et amaigri, vieillissant et reptilien, ce qui peut sembler excessif pour une femme qui n'a pas encore 40 ans, au moment où débute cette histoire.
Il n'empêche, malgré sa bizarrerie, malgré son éparpillement et ses incohérences, malgré une dernière partie plus ordinairement feuilletonnesque, «
Aurore » est un livre assez envoûtant. D'abord parce qu'il est merveilleusement écrit et avec beaucoup de soin : les dialogues y sont exceptionnellement brillants, les descriptions sont flamboyantes, les personnages bien dessinés, l'ambiance baroque du XVIIIème siècle parfaitement restituée. Ensuite, parce que
Charles Joliet ne s'essaye au roman de cape et d'épée que pour mieux le malmener, le contester, y glisser des opinions audacieuses et des parti-pris réjouissants. Il y a véritablement quelque chose d'expérimental, voire même de provocateur. Enfin, on a au final trois romans en un seul, appartenant à trois genres littéraires différents, et cela peut aussi avoir un intérêt même si paradoxalement on ne s'attend pas à autant de surprises dans un roman de cape et d'épée.
Bref, «
Aurore » est un roman éminemment discutable sur bien des plans, mais il a du charme, non seulement celui de son époque, mais aussi celui de l'époque dont il parle et celui même de ses imperfections orageuses. Un récit doublement daté, triplement déconcertant, mais où l'on aime se perdre comme s'il s'agissait de ruines médiévales à peine subsistantes mais dont l'incompréhensible labyrinthe aurait quelque chose de fascinant.
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