AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Isidoreinthedark


« Là où les lumières se perdent » est le premier roman de David Joy, jeune écrivain qui fut l'élève de Ron Rash, et dont l'ambiance aussi rurale que poisseuse évoque les romans de Chris Offut et de Brian Panowich.

A l'instar de « Bull Montain », le premier roman de Brian Panowich, l'ouvrage commence d'ailleurs par une épigraphe de Cormac McCarthy, figure tutélaire de ces jeunes auteurs qui ré-inventent le roman noir, en l'ancrant dans la ruralité brutale des Appalaches, et en s'attachant à décrire une misère sociale insensée, marquée par les ravages de la drogue.

Le narrateur Jacob n'a que dix-huit ans, mais porte un nom qui sonne comme une malédiction. Il est en effet le fils de Charles McNeely, baron de la drogue locale, psychopathe violent et sans pitié. Quant à sa mère Laura, elle a lâché la rampe depuis trop longtemps et vivote dans un cabanon, rongée par son addiction à la crystal meth.

Il y a les Winston que Jacob fume à la chaîne, les joints roulés à la va-vite, l'alcool, les barres de Xanax gobées comme des bonbons afin d'arrondir les angles, et il y a la crystal meth, ce poison qui transforme un être humain en zombie, une femme en fantôme décharné, qui vous emmène dans un lieu dont on ne revient jamais tout à fait.

Un passage à tabac qui tourne mal, va mettre notre jeune héros face à ses responsabilités, et lui faire paradoxalement entrevoir qu'il existe une alternative au rôle mortifère de dauphin que son nom semble lui imposer.

La lumière viendra peut-être de la belle Maggie, l'amie d'enfance dont Jacob est amoureux, qui se voit offrir l'opportunité de quitter la misère de leur région natale, pour rejoindre une université en Californie.

Malgré l'ombre qui plane tel un rapace en chasse dans un ciel bleu nuit sur la destinée en forme d'impasse de Jacob, malgré la violence, la pauvreté, la bêtise crasse, la cruauté, malgré la noirceur qui menace tel un linceul d'envelopper l'avenir du jeune homme, une lumière ténue émane du roman. Elle se niche au creux de l'âme encore pure de son héros, pourtant conscient de la corruption qui l'entoure, de la malveillance de son père, et de l'addiction qui ronge sa mère.

« Il existe un endroit où se perdent les lumières, et je suppose que c'est le paradis. C'était ce lieu lumineux que l'Indien observait sur le tableau qu'aimait ma mère, et je suppose que c'est pour ça qu'elle voulait tant y aller. L'endroit où toutes les lumières se rejoignaient et brillaient était dans mon esprit ce qui se rapprochait le plus de Dieu ».

David Joy n'épargne jamais son lecteur, qu'il s'agisse d'une indicible scène de torture à l'acide sulfurique ou de la plongée dans les gouffres de l'addiction qui transforme la vie de Laura en enfer. Lorsqu'il revient sur l'emprise que Charles McNeely exerce sur son fils, sur la cruauté sans limite d'un homme réputé pour laisser une petite Bible à côté du cadavre de ses victimes d'antan, le roman pousse les curseurs à leur maximum et frôle les limites de l'insoutenable.

En immergeant son lecteur dans un univers d'une noirceur invraisemblable, l'auteur marche sur un fil ténu, au risque de glisser vers une forme de complaisance aussi glauque que malsaine. En convoquant la lumière qui luit encore dans le coeur de Jacob, le roman réussit pourtant à donner une forme de transcendance à la destinée de son héros et prend une dimension quasi-métaphysique. David Joy transcende ainsi les codes du genre et nous propose un premier roman saisissant en nous emmenant « Là où les lumières se perdent ».
Commenter  J’apprécie          5110



Ont apprécié cette critique (45)voir plus




{* *}