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Critique de Dandine


Toute relecture est une nouvelle decouverte. On n'y entre pas vierge, mais on en ressort comme si on l'avait ete. C'est en tous cas mon sentiment avec ce recueil de nouvelles. Une nouvelle perception, celle d'avoir decouvert un auteur mur, en pleine possession de ses meilleurs moyens. Le grand Joyce (J.J. pour les intimes) est deja la, bien avant l'Ulysse.


Pour commencer, j'ai trouve que c'est un livre organique (ou bien organise), pas un recueil disparate. Ce sont des nouvelles qui se suivent et se completent pour former un tout.


C'est un regard porte sur toutes les etapes de la vie des hommes, des emerveillements de l'enfance jusqu'au delabrement physique et moral de la vieillesse et jusqu'a la mort, en passant par les reves et les espoirs de la jeunesse, les aboutissements, succes ou frustrations de l'age mur.


C'est une ribambelle de personnages (tres nombreux dans certaines nouvelles) qui des fois reapparaissent, ou donnent cette impression, au detour d'une page. De differentes classes sociales, qui se confrontent et se melent pour fusionner en un large tableau de la societe dublinoise du debut du 20e siecle.


Et c'est Dublin. Comme dans Ulysse, cette lecture ebauche une carte de la ville, concrete, d'une realite palpable, de ses differents quartiers, ses avenues et ses ruelles, ses maisons, cossues et miserables, et bien sur ses pubs et ses gargotes. De quoi faire une visite virtuelle, avec differents itineraires pour pouvoir y passer quelques jours. Mais c'est une impression fallacieuse, parce que ce que fait Joyce, ce qu'il reussit si bien, c'est transferer la ville de son apparence objective, perissable et circonstancielle historiquement, vers le monde fictif, intemporel et subjectif des grandes creations litteraires. La Dublin de Joyce n'en est pas pour autant irreelle, mais au contraire elle est plus que reelle. L'amour de Joyce pour sa ville natale (je crois qu'il a vecu beaucoup plus longtemps ailleurs, a Paris ou a Trieste, qu'en elle) le pousse a la malmener autant qu'a la caresser. L'amour vache. Qui ne fait que la rendre plus seduisante a nos yeux.


Seduisante? Oui, mais en litterature. Malgre sa decrepitude et ses rues boueuses. Comme ses habitants. Bien que la societe que Joyce decrit soit plutot sordide, mesquine, etroite de vues et repressive, sous la tutelle minutieuse d'une Eglise dessechee, et ou le nationalisme anti- britannique est pour beaucoup synonyme d'un provincialisme un peu ridicule. Mais la prose de l'auteur, empreinte d'humour autant que de derision, arrive a embellir jusqu'aux plus minables aspects de la societe qu'il evoque. Ce n'est pas un rapport sociologique d'academie, mais une relation plus authentique, plus eclairante sur cette societe que sa realite temporaire.


15 nouvelles. La derniere, "Les morts", beaucoup plus longue que les autres, est un petit chef-d'oeuvre, qui nous emmene depuis une reunion mondaine peuplee de conversations d'une trivialite exasperante jusqu'a un final huis clos poignant entre deux epoux, ou ressurgissent des remembrances de blessures douloureuses. John Huston en avait tire a la fin de sa vie un film memorable: The dead (en francais je crois qu'on l'a titre Gens de Dublin).
Mais il n'y a pas qu'elle. Mes preferees? "Penible incident", ou l'habitude de la solitude abime tout, en soi et autour de soi. "Eveline", ou la peur de l'inconnu aboutit a une fin navrante, qui m'a dechire le coeur. "La pension de famille" ou j'ai retrouve des accents De Maupassant et/ou de Tchekhov. "De par la grace", ou pour railler la religion Joyce utilise des dialogues qui rappellent (anticipent en fait) Ulysse. Et j'en oublie, ou j'en passe...

Gens de Dublin. Pour moi un must. L'ebauche? Non. La graine. La graine qui contient deja toute l'oeuvre ulterieure de Joyce. Sans ses exagerations.

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