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Critique de Shaynning


"Le rêve de Rose" est le premier tome d'une série en apparence très axé "filles", dans un cadre peu novateur, mais qui a ses bons côtés. Et à mon sens, il y a trop peu de présence d'éléments policiers pour être un vrai polar, relevant davantage de la tranche-de-vie ou de "L'histoire de filles pour filles".


Rose Lewis est fille d'éleveurs de porcs et lorsque son père sauve la vie d'un lord, ce dernier lui demande comment il peut lui témoigner sa gratitude. le père de Rose demande une place dans une bonne école pour sa fille et c'est ainsi qu'elle se retrouve au pensionnat Linden. On y trouve des filles issues de grandes familles bourgeoises et de la noblesse anglaise. Rose s'y sent aussitôt jugée et si elle fait profil bas, elle est presque instantanément la proie de moqueries et de regards condescendants, surtout de la part d'une demoiselle en particulier, Margaret. Rose se retrouve avec deux partenaires de chambrée, la volcanique Sybille et la tête d'ange Olivia, qui sont plus que ce qu'elles semblent être. La première aspire à devenir couturière, la seconde mécanicienne, même si à l'époque où se déroule cette histoire, fort à parier que ce n'est pas gagné pour elles. Rose, pour sa part, souhaite devenir journaliste. Les trois jeune femmes décident de s'impliquer à faire valoir une plus grande équité pour les femmes. Elles créent donc un club secret à cette fin. Mais lorsque Margaret se fait voler un collier, les soupçons tombent aussitôt sur Rose, ce qui menace son séjour dans l'école.


Le cadre de l'histoire est assez déjà vu: Un pensionnat de filles riches, une boursière, une petite peste insupportable et ses sbires, une directrice froide et sévère au chignon serré et un club secret formé d'atypiques. Au début, je dois dire, je ne voyais là pas grand chose de neuf à me mettre sous la dent. Et nous sommes en Angleterre, encore. Je me demande pourquoi le décor anglais victorien revient si souvent dans la littérature jeunesse, alors qu'il existe plus de 200 pays...Enfin, bref.


Côté scénario, là aussi, on reste dans quelque chose de déjà vu. La nouvelle qui est d'origine modeste, qui va bien sur devenir la cible des plus mesquines entités étudiantes et quand un objet disparait, on l'accuse aussitôt. Pour être honnête, ne vous attendez pas à un "policier" ici, ça n'a pas grand chose d'une investigation très poussé. On peut même deviner qui est le voleur/voleuse assez facilement et peu de réelles investigations seront faites. le roman tient plus de la tranche-de-vie. On aura du quotidien, de l'adaptation dans un monde d'une classe sociale qui a des codes différents et des rêves partagés entre les trois filles.


Puisque je traite des codes sociaux, autant aborder le côté "historique". Il n'est pas très fouillé. On a peu des codes sociaux , justement. On ne sent pas vraiment la différence de classes sociales dans les comportements, les pensées et la routine scolaire. Il n'y a pas de différences notables sur le langage non plus, entre les personnages ouvriers et les plus nantis. On ne sait pas en quelle année nous sommes, on sait seulement qu'il semble exister une effervescence féministe. Comme elle est relativement étendue dans le temps, on pourrait être fin 19e ou début 20e. Dire que ce roman est historique serait donc abusif, disons qu'il est légèrement "rétro". le volet que l'on va davantage couvrir est celui du féminisme effervescent évoqué plus tôt. On notera l'absence des femmes des manuels d'Histoire, la difficulté d'accès de certains milieux de travail, le rôle d'épouse idéalisé et certains domaines peu enseignés comme les sciences naturelles. Sur cette dernière question, il est à noté que dans l'histoire, l'école a été pourvu d'un laboratoire a été ouvert, selon le désir de la directrice ( un élément qui laisse croire que l'austère Madame Crowley est peut-être moins conservatrice qu'elle le laisse penser).


"Le cercle des rebelles", dans son traitement, me semble manquer de finesse. On a deux catégories de personnages très distincts: les trois "rebelles" , qui veulent une carrière dans un domaine typiquement "mâle, la gentille cuisinière et le gentil fils de la directrice, et qui sont nos "gentills", et les rabats-joie méchants: Matt, qui joue le garçon bagarreur, Margaret, la petite garce par excellence d'une grande condescendance ( oh que cet archétype féminin est impossible à fuir dans les histoires d'écoles destinées au filles!) et la directrice sévère. Les personnages manquent de relief: ils ont des qualificatif clairs et ils s'y tiennent. Sybille a un tempérament bouillant, de la répartie et est ouvertement opposante. Olivia est la petite fille parfaite, diplomate un brin manipulatrice qui sait se servir des mots. Rose est effacée, soumise, suiveuse et se sent inférieure. Je dois dire que ça colle pas très bien avec son envie de devenir journaliste. À mes yeux, le tout manque donc de nuances.


[Parenthèse facultative] Je remarque souvent que le "féminisme" est souvent relayé aux métiers masculins en littérature jeunesse. Ça où porter des pantalons et se bagarrer. Trois éléments qu'on retrouve ici. Je voudrais simplement observer le fait que par "Égalité des sexes", la définition même du féminisme, on tend, me semble-il, un peu trop à envoyer les personnages féminins faire "des trucs de gars" comme se bagarrer, porter des pantalons et avoir un métier de gars. Mais, il me semble que ça n'aborde que des éléments pratiques, alors qu'on semble oublier les éléments intrinsèques, comme le fait que les gars aussi ont des iniquités, que les femmes ont le droit d'exprimer des opinions, avoir un avis politique et faire des choix quand elles sont concernées. Surtout, qu'elles prennent conscience de leur valeur en tant que personne. Je me dis qu'on pourrait tabler plus sur les moeurs et les valeurs conservatrices qui créer l'état d'asservissement des femmes, qui même en pantalon, dans un métier d'homme et bagarreuses, ne sont guère plus libres si la société ne les reconnait ou tolère pas. Un peu comme les premières avocates américaines, dûment formées, mais jamais engagée dans les cabinets d'avocat malgré leur formation. Aussi on court le risque de donner beaucoup de lourdeur aux filles en mettant la pression que des éléments comme les vêtements, le comportement et le métier. du genre "Une vraie féministe travaille", ou "une vraie féministe porte des pantalons". Alors qu'on peut être féministe en étant coquette, femme au foyer et dans un métier traditionnellement féminin. le féminisme, c'est me semble-il, plus un changement de "Mentalité" que simplement une femme qui se comporte en homme, comme j'en vois un peu trop ces temps-ci dans les romans jeunesse. Néanmoins, un élément que j'apprécie dans ce roman-ci: le changement de mentalité commence invariablement par l'éducation et la prise de conscience.


Oh! petit truc cocasse concernant les illustrations: "LAME" ne veut pas dire "Lame" en français. "Lame" en anglais, signifie "boiteux", dans le sens propre comme le figuré. "That movie was lame" comme dans "ce film était boiteux". le bon terme est "blade", dans le sens de la lame d'une arme blanche ou d'un couteau. Mais à la page 159, on a illustré le journal avec "Feminism: The Lame" en voulant parler de "La Lame", le personnage mystérieux qui défend les droits des femmes. Et à la page 118, Matt souffre d'un sévère strabisme, qui n'est jamais mentionné dans le texte.


Dans les éléments que j'ai apprécié: la directrice! Hein? Ne viens-je pas de dire qu'elle est austère et sévère? Elle l'est. Mais je devine plus chez ce personnage. Je pense qu'elle aussi a une pensée plus avant-gardiste qu'on veut le croire. Elle a instauré le laboratoire, déjà quelque chose de notable pour une école d'élite censé produire de belles petites épouses disposant d'un minimum de savoir, et certainement pas en "sciences naturelles"! de plus, elle a aussi donné le bénéfice du doute à Rose, concernant le vol. Ce qui dénote un minimum de bon sens. Elle me donne l'impression de faire discrètement des changements via son école, dans l'éducation donnée aux filles. On peut imaginer qu'elle ne prendra pas officiellement position, elle risquerait de passer pour une "progressiste". Enfin, elle n'a pas de parti prit pour sa nièce ( évidement, la mesquine Margaret est de la famille, ça aussi ce n'est guère nouveau pour cet archétype; combien de petites pestes d'école ai-je vue qui était fille de directeur/directrice...)Bref, je le sens bien ce personnage intriguant qu'est madame Crowley!


Aussi, j'apprécie que la jalousie soit traité comme un sentiment malsain et négatif, parce qu'il l'est. On a tendance, je trouve, et spécialement envers le lectorat des fille et femmes, de banaliser la jalousie ou pire, l'associer au sentiment amoureux. Or, c'est "l'envie" qui est positive, car elle mobilise à travailler pour avoir l'objet envié et constitue une émotion liée au désir. Désir, oui, mais un désir tourné vers soi, qui implique que la motivation vienne donc de soi pour soi. La jalousie, au contraire, est tournée vers les autres et déresponsabilise la personne, elle rend mauvais.e, mesquin.e et pousse à nuire aux autres. Merci de l'avoir présenté exactement comme cela!


Dans l'ensemble, je dirais que sans révolutionner ou innover, ça reste un roman léger qui devrait plaire à mes jeunes lectrices en librairie qui veulent "des romans d'histoires de filles". C'est une histoire d'amitié dans laquelle les filles se soutiennent pour "survivre" à cette école, Sybille et Olivia parce qu'elles ne souhaitaient pas y être, Rose parce qu'elle veut y rester ( ironique, quand même), avec une écriture assez facile, avec peu de descriptions. Ce sont d'ailleurs les illustrations qui nous donnent une idée du physique des filles. Il y en a quelques unes dans le roman lui-même.


Pour un lectorat à partir du second cycle primaire, 8-9 ans.
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