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Critique de oiseaulire


Millefeuille est un professeur de lettres à la retraite. Il est érudit, fanatique de William Shakespeare, sociable, ouvert à autrui, il a des projets littéraires, il habite un appartement cossu en plein Paris, entouré par les brasseries les plus agréables, les marchés les mieux fournis, les épiceries fines et il a les moyens de les fréquenter.
Il a des amis fidèles qui accourent quand il a besoin d'eux, un fils, des occupations : l'heureux homme !

Mais Millefeuille se sent de plus en plus angoissé : son fils l'agace, il supporte mal les contraintes, qui l'irritent au-delà du raisonnable. Il voudrait venir en aide à d'anciens amis en difficulté au point de penser à eux de façon obsessionnelle, mais renonce au dernier moment : il n'y parvient pas. Egoïsme, pudeur, peur de renoncer à sa liberté ? le jeune couple en perdition dont il commençait à s'occuper commet un atroce forfait et trouve la mort. Millefeuille est bouleversé, taraudé par le remords.

Millefeuille s'ennuie seul, il s'ennuie en société. Il est sujet à des accès de colère irrépressibles, il a des insomnies, des cauchemars récurrents dans lesquels des rois shakespeariens couverts de sang viennent le visiter. Parfois il croit voir les ombres de ceux qu'il n'a pas su aider se faufiler dans son immeuble : mais ce ne sont pas eux.

Millefeuille expérimente l'expérience la plus gratifiante qui soit : une vie sans obligation. Millefeuille expérimente l'expérience la plus terrible qui soit : une vie sans obligation. Une vie livrée au facultatif.

Millefeuille vieillit, il a peur du gouffre qui s'ouvre devant lui, de la vacance, de la mort.

Millefeuille voudrait être un pharaon pour qu'on ne l'oublie pas.

Leslie Kaplan, a eu l'excellente idée de placer son personnage dans les conditions de vie les plus favorables, afin de mieux exprimer les questionnements sans réponses qui forment la trame de l'existence humaine : l'aisance matérielle, la culture n'en protègent pas. Il apparaît en creux que l'univers dans lequel il évolue est un univers sans Dieu : Millefeuille ne pense jamais à Dieu, Il n'est pas dans son programme. C'est un athée ou un agnostique dont le seul panthéon est littéraire. Or, comme le formula un de ses anciens maîtres, "la littérature ne sauve pas, elle ne fait que consoler".

Millefeuille continuera ainsi, de joies en joies, d'affres en affres, jusqu'à la fin de sa vie. Sa misère est inséparable de la condition humaine.

Le style de Leslie Kaplan est un style simple. Il semble un peu relâché à la lecture, mais sculpte une matière qui se révèle de plus en plus dense en sens au fil de la progression.

"Millefeuille" de Leslie Kaplan est un livre qui peut paraître insignifiant si on n'y prête pas garde. C'est ce que m'ont confirmé les avis de certains amis babéliotes qui semblent s'être ennuyés à sa lecture alors que je n'ai pas pu le lâcher avant la fin.

Je tiens Leslie Kaplan pour une grande écrivaine qui ne paie pas de mine... ou qui ne "parle" pas à tout le monde. Car, comme l'a écrit Krout dans son commentaire : "Il y a un âge pour apprécier certains livres, pour Millefeuille il faut un âge certain."


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