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Critique de La-page-qui-marque


Le kanun est un texte de loi coutumier datant du XVéme siècle et qui régit encore certains territoires albanais. Ces textes abordent tous les aspects de la vie quotidienne et économique. Ils traitent aussi de la place de l'homme et de la femme ainsi que des questions d'honneur personnel. Ils permettent également aux femmes de devenir des hommes et de bénéficier des mêmes droits qu'eux en échange d'une promesse de virginité. Ce sont les Ostaïnitsa, les vierge jurées.

Bekia a décidé de devenir une Ostaïnitsa la veille de son mariage, elle porte désormais le prénom de Matia. Venant juste d'être violée, elle sait que son époux aura le droit de la tuer en découvrant qu'elle n'est pas pure. En prenant cette décision, elle entache l'honneur de l'homme qui lui était promis. Celui-ci va donc devoir lancer une vendetta sur sa famille, tradition sanglante qui fait partie du quotidien de cette région. Bien des années plus tard, Matia se confie à une journaliste venue la questionner car elle est l'une des dernières vierges jurées. En acceptant de revenir sur son passé, elle ouvre une porte à un possible avenir.

La narration est morcelée, Bekia/Matia se livre par bride et le lecteur raccroche les fils de l'histoire progressivement. Une certaine retenue l'habite et l'empêche dans un premier temps de se raconter complètement. L'autrice fait transparaître les hésitations et les blessures de son héroïne. Elle nous propose un texte d'une extrême sensibilité. L'écriture est changeante, à l'image de l'héroïne, et très poétique. le destin de Bekia/Matia est poignant. Elle lutte dans une société violente et pétrie de traditions d'un autre âge avec les armes dont elle dispose. La liberté est au prix de lourds sacrifices.

Le roman explore les notions d'homme et de femme. le genre devient un piège dans les sociétés patriarcales mais paradoxalement les lois du Kanun proposent une porte de sortie aux femmes. En acceptant une forme de transidentité en échange d'un voeu de chasteté, elles offrent la possibilité aux femmes de devenir libres. Dans un monde régi par les vendettas, où il devient même honteux pour un homme de mourir de mort naturelle ou de maladie, les femmes ont une possibilité de changer de genre. La question du genre et de la manière dont on éduque une fille ou un garçon est aussi questionnée. Les attentes des parents de Bekia sont différentes pour son frère et pour elle. Elle est consciente très tôt que aucun d'eux ne rentre dans le moule prédéfini par leur sexe. Ne se reconnaissant pas complètement dans le féminin, portant les attentes d'un père qui rêve d'un fils fort et brave, elle a une relation ambivalente envers son genre dès l'enfance.

A travers ce roman, le lecteur découvre une société archaïque balbutiante, les derniers sursauts d'une loi cruelle. J'ignorais tout des lois du kanun et des vierges jurées, découvrir ces sociétés m'a passionnée autant qu'horrifiée. En faisant quelques rapides recherches sur le sujet, j'ai découvert comment les vendettas forçaient des familles entières à vivre cloîtrées depuis des années. J'aime quand la littérature, à l'aide d'une langue travaillée et poétique, nous ouvre les yeux sur des réalités qui nous sont étrangères. Je crois que c'est ce que je recherche dans les romans ; un regard sur un ailleurs, une voix singulière qui nous éveille au monde.
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