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Marie Vrinat-Nikolov (Traducteur)
EAN : 9782493823007
200 pages
Belleville éditions (08/04/2022)
4.25/5   6 notes
Résumé :
Ostaïnitsa – " vierge jurée " : femme qui fait serment de virginité et commence à mener une vie d'homme et de chef de famille dans des sociétés patriarcales au nord de l'Albanie, au Kosovo, en Macédoine, Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie - ces contrées où règne le kanun. C'est un changement de genre constitutionnellement admis par un serment qui, une fois prononcé, permet à la femme d'acquérir tous les droits d'un homme.
De nos jours, il ne reste que quelqu... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Ce que j'ai ressenti:

Je n'ai pas les yeux sinn

Mais le coeur, certainement…

Comme Bekia ou mes autres soeurs

Mes soeurs de là-bas, en Albanie

Elles, soumises, au pouvoir du Kanun

C'est étrange cette histoire de dette

La reprise du sang, l'archaïsme

Ça fout en l'air des vies, des coeurs

La jeunesse et, ceux qui restent…

En plus, il ne faudrait pas d'amour

Est-ce qu'elle meurt quand elle dit

J'aime

Est-ce qu'elle naît quand elle dit

Je t'aimerai éternellement

Faut-il se faire ostaïnitsa

Pour vivre dans la lumière

Et les lettres s'écrivent

Mais le ver progresse

Il est des vérités difficiles

Qu'être? En genre et en sinn

Je n'ai pas de robe bleue

Quand je lisais, j'ai renoncé

À cette couleur, à cette douleur

Les chaises sont vides

Mais la lecture guérit

Je ne sais pas trop ce qu'il faut

Attendre ou pas des colombes

Des hommes, des pommes…

J'entends des voix, des mensonges

Ne vois-tu pas la blessure, la fleur?

Je suis de métal et pur amour

Pour toutes

Je chante différemment vers le ciel

Pour Matia, Bekia, Dana ou kesim

Alors, le ciel, le lait, tombent

La loi du kanun aussi

Et dans la chair elle mange

Des grenades sauvages

Je n'ai plus faim

Et je ne m'habitue à rien

Et tout ce que j'aurai désiré

Puisque ça se réalise, dit-on,

C'est que vous lisiez cette puissance

Ces mots, ces coutumes d'ailleurs,

Que vous preniez dans vos bras

La dernière ostaïnitsa, la vierge jurée

Je n'ai pas les yeux sinn

Ni le coeur en pierre, rouge,

Mais un coup de coeur, certainement

Et il n'y a pas de retour en arrière…

« le métal le plus précieux en Albanie est la liberté »
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Vierge jurée ou Ostaïnitsa, Остайница, en bulgare, voici la définition que Belleville Éditions met à notre disposition « femme qui fait serment de virginité et commence à mener une vie d'homme dans des sociétés patriarcales au nord de l'Albanie, au Kosovo, en Macédoine, en Serbie, au Monténégro, en Croatie, en Bosnie – ces contrées ou règne encore le Kanun ». de là, il faut comprendre ce qu'est le Kanun. Et cette fois, je reprends la définition wikipediesque à notre disposition « le Kanun est le nom de codes de droit coutumier médiéval auquel se réfèrent encore certains clans des territoires albanais du nord« . Si René Karabash, l'auteure est certes bulgare, ce récit, qui voit la transformation de la féminine Bekia en un masculin Matia se passe effectivement dans les contrées lointaines de nos territoires, aussi bien sur le plan géographique que temporel, d'Albanie. Ce sont, de fait, des terres encore marquées par des règles et courûmes ancestrales, des territoires comme scellés dans l'ambre, régis par ces lois orales, scrupuleusement codifiées, supérieures à toutes les autres lois promulguées.

Une reporter rapporte la première partie de ce récit, s'intéressant à celle qui apparaît être la dernière vierge jurée existante. Ce phénomène unique de transidentité codifiée fait naître quelques réflexions sur ces sociétés patriarcales, au sein desquelles une femme ne vaut guère davantage que les trente boeufs du troupeau voisin : il y a d'abord la trame narrative, qui lorsqu'on la considère dans son ensemble, est plutôt simple. Justement, cet ensemble est totalement éclaté, et complexifié par un discours très particulier sur la forme. Mais j'y reviendrai plus tard. Pour reprendre, l'encyclopédie en ligne, « Les vierges sous serment seraient le seul cas en Europe d'encadrement traditionnel et social des concepts de transgenre et de travestissement« . Bekia est devenu Matia, et autour de cela il y a tout le rôle de la famille, du poids de ces traditions immuables et obtuses, qui sont explorées, et ses mécanismes décortiquées, c'est littéralement fascinant de pénétrer les us et coutumes de cette culture albanaise.

Avec cette allusion au Kanun, l'auteure joue sur deux perspectives : la première, qui est celui du rôle très traditionaliste en Albanie de la femme, condamnée à épouser l'homme que son père a choisi pour elle, la seule voie d'émancipation de Belkia, c'est de devenir un homme en abandonnant son sexe de naissance. de l'autre, elle soulève la question de la validité même de ces lois édictées en d'autres temps par un cortège d'hommes qui avaient tout intérêt à préserver leurs privilèges masculins. Et comme souvent, ces codes et ces lois appellent à la violence, le sang doit couler, celui de la virginité perdue dans le lit conjugal, celui des balles reçues suite à ces vendettas issues directement du refus d'épouser l'inconnu ou face à l'hymen rompu de l'épousée. Cette écriture qui presque lieu de mélopée, à travers ce ton récitatif, atténue un peu ces moeurs tyranniques qui font plier l'échine de chacun, même les hommes qui paient cher les refus éventuels de leur femme : le système est d'autant plus pervers. le roman débute très symboliquement avec ce sang qui coule, Après que la responsabilité de chacun a été continuellement soulevée, soupesée, remise en cause, rejetée ou endossée.

C'est le texte, le fil de pensée, d'un esprit contrarié, interrogateur, indécis, qui chemine de Belkia à Matia, et ses nombreuses régressions se mêlent, fusionnent même, au récit qui progresse tant bien que mal, adressé à la reporter. Vers la liberté, la délivrance, la libération – ce que son alter-ego homme, Matia, n'est sûrement pas, car ces hommes subissent aussi d'une forme d'emprisonnement – du carcan des lois qui pèse sur eux. L'auteure pointe le doigt sur ce corps, qui se révèle être la première et plus importante forme d'emprisonnement, métaphoriquement, sous la forme de son travestissement, cette forme de mensonge déguisée sous des principes passés, éculés, dont l'auteure apporte la preuve en parallèle du non-sens. Jusqu'à quand le sang a-t-il encore un prix, celui de la Vendetta, lorsque la vengeance devient un cercle sans fin. Relié au passé par ces coutumes ancestrales encore vivaces dans ces territoires d'Albanie, au présent par la capitale bulgare qui lui offre une chance de vivre encore comme Bekia, ce texte est le parfait reflet du problème de conscience qui se joue pour elle, et dont elle nous livre avec circonspection les tenants et aboutissants au fur et à mesure de la narration.

Parlons de la narration. Qui est tout sauf linéaire. Femme/Homme, les sexes s'intervertissent, les temporalités et les narrateurs aussi. le rigorisme de ces lois explique peut-être une narration très relâchée où rien ne marque les dialogues, les changements du discours indirect au direct. C'est une construction qui amène de l'oralité au texte, avec des phrases décalées qui nous poussent à le lire à haute voix pour en respecter le rythme. L'auteure a visiblement décidé de casser les codes d'une narration classique, accordant de la liberté dans la forme là où par le fond il n'y en a pas la place. C'est le parcours, semé d'embûches, ou la prise de conscience, que derrière le Kanun, se cache un simple et absurde désir de garçon. Un orgueil, injustifié, mal-placé. Ou un homme qui ne parvient pas à aimer sa famille. Un système fallacieux pour se décharger de sa culpabilité, de sa faute. En contrepoint, les lettres de ce frère, Salé, parti en Bulgarie, sont les seuls passages où le chaos, de la faute née et innée, du poids de ces lois artificielles entièrement fabriquées de toutes pièces, laissent la place à un ordre naturel, celui de la liberté et du libre-arbitre.

C'est sans aucun doute un roman qui déstabilise, chamboule les repères d'une lecture continue et sans anicroche, pour coller à l'esprit d'une jeune femme, vierge, chamboulée par une faute qui pèse sur ses épaules et pourtant qu'elle ne ressent pas être. L'appel des traditions face à la liberté d'une modernité aux frontières abolies. C'est ce chemin-là que nous lisons, que nous défrichons plutôt à grands coups de faux à travers une écriture touffue et luxuriante, dont l'absence de points, de majuscules ne facilite pas le cheminement. C'est le dernier souffle d'un Kanun archaïque, que Rene Karabash décrit ici, pris dans la poussière du temps, et qui s'effondre avec les premiers rayons d'une liberté neuve, chaleureuse et aveuglante, pleine de promesses, à tel point qu'elle peut en être effrayante.











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Pour découvrir des voix singulières de la littérature, notamment balkaniques, on peut faire confiance aux publications de Belleville éditions. Vierge jurée de l'auteure bulgare Rene Karabash (Irena Ivanova de son vrai nom) en est une parfaite illustration. L'histoire, qui se déroule au nord de l'Albanie, est celle de Bekia (jeune femme) qui est devenue Matia (jeune homme), une "vierge jurée", après un viol, la veille de son mariage, qui rendait ce dernier impossible, pour cause d'impureté et par la même déclenchait une vendetta de la famille de l'époux abandonné, à l'égard du père de Bekia/Matia. Tout est affaire d'honneur dans ce récit qui rend compte d'une coutume d'airain, patriarcale, qui témoigne de la triste condition féminine en ces contrées. le livre, qui a parfois des allures incantatoires, est racontée par la vierge jurée dans un dialogue avec une journaliste qui est en fait un monologue où les événements passés se dévoilent au gré d'un véritable puzzle narratif, parfois répétitif, qui se joue de la chronologie et évoque aussi bien le rapport de Bekia/Matia à son père (elle a toujours été considéré comme un fils pour celui-ci, qu'à son amie de coeur et qu'à son frère qui a fui à Sofia. le récit, déjà complexe, le devient encore davantage par une absence partielle de ponctuation qui rend certes la lecture plus difficile mais également stimulante et exaltante. Sur le fond et sur la forme, Vierge est un tour de force que la remarquable traduction de Marie Vrinat retranscrit parfaitement.

Mille mercis à Belleville éditions pour la découverte de ce roman.

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Le kanun est un texte de loi coutumier datant du XVéme siècle et qui régit encore certains territoires albanais. Ces textes abordent tous les aspects de la vie quotidienne et économique. Ils traitent aussi de la place de l'homme et de la femme ainsi que des questions d'honneur personnel. Ils permettent également aux femmes de devenir des hommes et de bénéficier des mêmes droits qu'eux en échange d'une promesse de virginité. Ce sont les Ostaïnitsa, les vierge jurées.

Bekia a décidé de devenir une Ostaïnitsa la veille de son mariage, elle porte désormais le prénom de Matia. Venant juste d'être violée, elle sait que son époux aura le droit de la tuer en découvrant qu'elle n'est pas pure. En prenant cette décision, elle entache l'honneur de l'homme qui lui était promis. Celui-ci va donc devoir lancer une vendetta sur sa famille, tradition sanglante qui fait partie du quotidien de cette région. Bien des années plus tard, Matia se confie à une journaliste venue la questionner car elle est l'une des dernières vierges jurées. En acceptant de revenir sur son passé, elle ouvre une porte à un possible avenir.

La narration est morcelée, Bekia/Matia se livre par bride et le lecteur raccroche les fils de l'histoire progressivement. Une certaine retenue l'habite et l'empêche dans un premier temps de se raconter complètement. L'autrice fait transparaître les hésitations et les blessures de son héroïne. Elle nous propose un texte d'une extrême sensibilité. L'écriture est changeante, à l'image de l'héroïne, et très poétique. le destin de Bekia/Matia est poignant. Elle lutte dans une société violente et pétrie de traditions d'un autre âge avec les armes dont elle dispose. La liberté est au prix de lourds sacrifices.

Le roman explore les notions d'homme et de femme. le genre devient un piège dans les sociétés patriarcales mais paradoxalement les lois du Kanun proposent une porte de sortie aux femmes. En acceptant une forme de transidentité en échange d'un voeu de chasteté, elles offrent la possibilité aux femmes de devenir libres. Dans un monde régi par les vendettas, où il devient même honteux pour un homme de mourir de mort naturelle ou de maladie, les femmes ont une possibilité de changer de genre. La question du genre et de la manière dont on éduque une fille ou un garçon est aussi questionnée. Les attentes des parents de Bekia sont différentes pour son frère et pour elle. Elle est consciente très tôt que aucun d'eux ne rentre dans le moule prédéfini par leur sexe. Ne se reconnaissant pas complètement dans le féminin, portant les attentes d'un père qui rêve d'un fils fort et brave, elle a une relation ambivalente envers son genre dès l'enfance.

A travers ce roman, le lecteur découvre une société archaïque balbutiante, les derniers sursauts d'une loi cruelle. J'ignorais tout des lois du kanun et des vierges jurées, découvrir ces sociétés m'a passionnée autant qu'horrifiée. En faisant quelques rapides recherches sur le sujet, j'ai découvert comment les vendettas forçaient des familles entières à vivre cloîtrées depuis des années. J'aime quand la littérature, à l'aide d'une langue travaillée et poétique, nous ouvre les yeux sur des réalités qui nous sont étrangères. Je crois que c'est ce que je recherche dans les romans ; un regard sur un ailleurs, une voix singulière qui nous éveille au monde.
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Sur des thèmes lourds, Rene Karabash écrit un texte pas aisément abordable mais qui, une fois que l'on a fait l'effort d'y entrer, révèle toute sa force et sa beauté. Il faut aimer ou se laisser séduire par l'absence de ponctuation -sauf la virgule-, par l'art du contournement qui consiste à ne pas aller par le chemin le plus direct pour décrire un fait. C'est joliment fait, souvent très poétique -la mise en page participe de cette sensation de poésie.

Ce n'est pas léger, Rene Karabash y aborde les traditions violentes et patriarcales albanaises "ici, il y a beaucoup d'hommes qui meurent, c'est l'impôt du sang, tout tourne autour du Kanun" (p.29), où le droit des femmes n'existe pas, où la seule manière de vivre libre lorsqu'on est femme est de devenir une ostaïnitsa, un homme quoi. Sinon, elle se soumet aux hommes et au Kanun : "il en a toujours été ainsi, à l'époque turque, au moment des occupations, durant la Première et la Seconde Guerres mondiales, aujourd'hui et demain, le Kanun ne connaît pas les lois du temps, ma fille, je ne veux pas t'entendre, le mariage est un marché, l'amour est une faiblesse, le mariage ne peut pas être défait une fois qu'il a été conclu, donc, fais preuve d'intelligence" (p.50). Et que penser des sexualités autres que l'hétérosexualité qui ne sont même pas envisagées ?

Le roman est dur, fort et beau. Bekia est un personnage qui ne se laisse pas faire, qui marque durablement les esprits des lecteurs.

Rene Karabash est bulgare, et tradition chez Belleville, l'illustratrice de la couverture, Teodora Simeonova, l'est aussi.
Lien : http://www.lyvres.fr/
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
il n’y a pas de retour en arrière.

je sors de l’église, je sens pour la première fois la froidure de l’air albanais, je dois ressembler à un âne, et alors, je me dis, le métal le plus précieux en Albanie est la liberté, la femme en Albanie vaut vingt boeufs, ne regarde pas les hommes dans les yeux, ne va pas à la taverne, prends soin des enfants, fais la lessive, la cuisine, elles peuvent tout au plus porter le lait à la laiterie, tuer Bekia état la chose la plus raisonnable que je pouvais accomplir, on m’a donné un fusil et une montre, je pouvais désormais fumer et boire, fréquenter les hommes, aller à la taverne et dans les pièces réservées aux « affaires masculines », on m’a appris à écarter les jambes, les enfants du quartier ont commencé à m’appeler baté, Matia, je marchais tous les soirs dans les rues étroites du village, je m’exerçais, je devais m’habituer à ma nouvelle allure, m’habituer au fait que je ne valais plus vingt bœufs, que j’avais une montre, le petit garçon à son papa

ton père voulait un fils, mais c’est toi qui es née

tais-toi, maman, le même jour est apparu Matia, je l’attendais pour qu’il enlève mes vêtements, qu’il me mette les siens et attache sa montre autour de mon poignet, Bekia n’existe plus, ses cheveux flottent sur la rivière, vous savez quoi, Madame la reporter, nous, les êtres humains, nous avons besoin de règles et de limites, je pense que c’est exactement de ce cela que nous avons besoin, je ne sais pas comment c’est chez vous, mais chez nous, c’est comme ça, la liberté est quelque chose de dangereux

tout le village sait

Mourash voulait un fils, mais c’est une fille qui lui est née
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Tu étais la chouchoute de Mourash. Il n’avait qu’un fils. Et c’était toi. Mais ce n’est pas tout à fait la réalité, sœurette. Et je vais m’efforcer de te faire comprendre que tout ce que tu as fait pour devenir « le petit garçon à son papa » était vain et que le Kanun est une invention qui peut donner un sentiment de sécurité, mais pas de liberté. (…)

Salé 19.09.2017 Sofia Bulgarie
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le métal le plus précieux en Albanie est la liberté
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